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laquelle l’Empereur licenciait les représentans du peuple, on m’expliqua qu’il ne fallait voir dans ces dislocations fréquentes qu’une gymnastique d’assouplissement à l’usage des corps électoraux. Le Japon, encore neuf au parlementarisme, n’avait pas de temps à perdre, s’il voulait dépouiller sa rudesse et rattraper les nations occidentales. On jugeait bon et même nécessaire qu’un électeur japonais pût en sa courte vie nommer autant de fois un député qu’une lignée d’Européens au long d’un siècle. J’admirai ce programme d’éducation politique qui faisait de vieux citoyens en quinze ou vingt leçons.

Mais on m’avertit aussi que le gouvernement, pour mater l’opposition, n’avait trouvé de meilleur moyen que de l’appauvrir. L’Empire n’est pas riche ; et la moindre élection y coûte cinq ou six mille yens, soit une quinzaine de mille francs. Ces exercices répétés tuent les petites bourses, éclopent les moyennes, et l’on espère qu’ils assagiront les grosses. La presse s’indigne, mais y trouve son compte. Quant aux électeurs, les uns sont déjà montés à ce haut degré de scepticisme et d’indifférence où se complaisent, hélas ! leurs frères d’Occident ; les autres plus pratiques supputent leurs bénéfices. Le peuple, le bon peuple qui ne vote pas, s’en désintéresse. Mais les patrons des maisons de thé s’approvisionnent en conséquence, les kurumayas piaffent dans leurs brancards, les geishas provinciales accordent leurs shamisen, et les soshis, le poignard sous la ceinture, déploient leur éventail.

Nous connaissons les soshis ; nous les connaissons même de longue date. Ce furent des soshis que ces braves Italiens qui proprement dépêchaient leur homme entre chien et loup ; et, quand Saltabadil indigné s’écrie : « Suis-je un bandit ? Suis-je un voleur ? » Nous pourrions lui répondre : « Eh ! parbleu non, mon ami, tu es un soshi. » Les brigades centrales sont peuplées d’honnêtes soshis qui travaillent uniquement dans l’intérêt de la société, tandis que les soshis japonais s’enrôlent au service des simples citoyens. Soshis encore, les camelots payés pour échauffer l’enthousiasme populaire ; soshis, les porteurs de gourdins qui interrompent les réunions publiques ; soshis, les courtiers électoraux et les insulteurs à gages. Nous sommes pleins de soshis ; mais nous ne les avouons pas ; nous déguisons leur provenance ; nous les grimons en chevaliers du bon droit. Les Japonais n’y mettent pas tant de malice. Leurs soshis forment une classe