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de nos troupes ait été ainsi autrement préservé que par l’oisive routine de la vie des postes, les préjugés régimentaires n’en ont pas moins fait de vigoureux retours offensifs, et il est à souhaiter qu’une réforme de l’organisation de nos troupes coloniales débarrasse le commandement territorial des obstacles qui, dans cet ordre, entravent encore trop souvent son action.

Bref, le but poursuivi par le général Galliéni, c’est l’utilisation coloniale de chaque homme du corps d’occupation conformément à ses aptitudes. Ce qu’il n’admet pas, c’est que la force vive que représente un Français aux colonies reste inemployée. Du jour où le secteur assigné à une compagnie a été pacifié et où le dernier coup de fusil y a été tiré, cette compagnie ne représente plus seulement l’unité militaire, mais surtout une collectivité, un réservoir de contremaîtres, de chefs d’atelier, d’instituteurs, de jardiniers, d’agriculteurs, tout portés, sans nouvelles dépenses de la métropole, pour être les premiers cadres de la mise en valeur coloniale, les premiers initiateurs des races que nous avons la mission providentielle d’ouvrir à la vie industrielle, agricole, économique, et aussi, oui, il faut le dire, à une plus haute vie morale, à une vie plus complète.

Et combien cela est facile avec le cher soldat français, redevenu, une fois dispersé par un, par deux, parmi les villages malgaches, le paysan de France, l’ouvrier de France, avec tout ce que ces mois comportent de qualités d’ordre, de prévoyance, d’ingéniosité et aussi d’endurance, de cordialité, de belle humeur.

Ah ! cette idée audacieuse de la dispersion de nos hommes à travers les populations indigènes, tolérée, que dis-je ? préconisée, ordonnée par le général Galliéni, que n’en avons-nous pas entendu dire par les gardiens des rites sacrés !

Or les faits sont là.

Il me souvient d’avoir trouvé, dans un poste où je comptais établir le siège d’un commandement important, une compagnie d’infanterie de marine épuisée par les trois années de campagne et d’insurrection, anémiée, oisive, incapable de fournir un service actif, mais d’ailleurs concentrée dans la main de son chef et accomplissant les rites métropolitains aux heures traditionnelles du tableau de service. Il était visible que ces hommes, à 3 000 lieues de leur village, mal abrités, inoccupés, périssaient d’ennui, de spleen et de mal du pays. Malgré les objections tirées de l’état de santé de ces hommes, de l’impossibilité qui en résultait de les