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Ici encore, il n’y a qu’à laisser la parole aux instructions du 22 mai 1898 :


Le soldat se montre d’abord soldat, ainsi qu’il est nécessaire pour en imposer aux populations encore insoumises ; puis, la paix obtenue, il dépose les armes. Il devient administrateur…

Ces fonctions administratives semblent incompatibles, au premier abord, avec l’idée qu’on se fait du militaire dans certains milieux. C’est là cependant le véritable rôle de l’officier colonial et de ses dévoués et intelligens collaborateurs, les sous-officiers et soldats qu’il commande. C’est aussi le plus délicat, celui qui exige le plus d’application et d’efforts, celui où il peut révéler ses qualités personnelles, car détruire n’est rien, reconstruire est plus difficile.

D’ailleurs, les circonstances lui imposent inéluctablement ces obligations. Un pays n’est pas conquis et pacifié quand une opération militaire y a décimé les habitans et courbé toutes les têtes sous la terreur, le premier effroi calmé, il germera dans la masse des fermens de révolte que les rancunes accumulées par l’action brutale de la force feront croître encore.

Pendant cette période qui suit la conquête, les troupes n’ont plus qu’un rôle de police qui passe bientôt à des troupes spéciales, milice et police proprement dite ; mais il est sage de mettre à profit les inépuisables qualités de dévouement et d’ingéniosité du soldat français. Comme surveillant de travaux, comme instituteur, comme ouvrier d’art, comme chef de petit poste, partout où l’on l’ait appel à son initiative, à son amour-propre, à son intelligence, il se montre à hauteur de sa tâche. Et il ne faudrait pas croire que cet abandon momentané du champ de manœuvre soit préjudiciable à l’esprit de discipline et aux sentimens du devoir militaire. Le soldat îles troupes coloniales est assez vieux, en général, pour avoir parcouru maintes fois le cycle des exercices et n’avoir plus grand’chose à apprendre dans les théories et assouplissemens auxquels on exerce les recrues de France.

Les services qu’on réclame de lui, au contraire, entretiennent une activité morale et physique qui est décuplée par l’intérêt de la besogne qui lui est confiée.

En outre, en intéressant ainsi le soldat à notre œuvre dans le pays, on finit par l’intéresser au pays lui-même. Il observe, il retient, il calcule même et, souvent, au moment de sa libération, il sera décidé à mettre en valeur quelque coin de terre, à utiliser dans la colonie les ressources de son art, à la faire bénéficier, en un mot, de son dévouement et de sa bonne volonté. Il devient un des plus précieux élémens de la petite colonisation, complément indispensable de la grande.


Et nos soldats, fidèles à ces instructions, se sont transformés, dans la plus large mesure, en agriculteurs, en ouvriers d’art, en instituteurs.

Dire que cette adaptation s’est faite sans résistance, ce serait méconnaître la persistance des habitudes acquises et l’inertie des mouvemens coutumiers. Bien que l’état moral et physique