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En exposant cette méthode à M. le gouverneur général Rousseau, le général Duchemin, commandant en chef le corps d’occupation, trouvait à qui parler. Rien ne le prouve mieux que le passage suivant d’une lettre où, à son tour, M. Rousseau donnait au gouvernement métropolitain les grandes lignes du système tel qu’il était appliqué au Tonkin :


La mission que remplit aujourd’hui notre corps d’occupation consiste avant tout à assurer la protection de la frontière et à procédera la reconstitution sociale et à la remise en valeur de la haute région du Tonkin, organisée en territoires militaires, les expéditions et l’emploi de la force passant au dernier plan.

En arrière de la frontière existe une vaste région ravagée par vingt ans de piraterie, terrain vague qui constitue un danger constant s’il reste à l’état inorganique, véritable matelas de protection au contraire s’il se reconstitue, se repeuple, si les voies de communication s’y rouvrent, si la culture y renaît.

Or à cet objet convient merveilleusement la méthode de colonisation militaire pratiquée sous l’impulsion du général Duchemin. Cette méthode consiste à couvrir le pays d’un réseau serré de secteurs à chacun desquels correspondent des unités militaires réparties en postes, constituant autant de noyaux de réorganisation locale sous la direction d’un personnel essentiellement dévoué et intègre et formant ainsi une « population provisoire » à l’abri de laquelle se reconstituent la population réelle et la remise en exploitation du sol. Certains territoires témoignent déjà de l’efficacité de cette méthode, l’évidence des résultats qui y ont été obtenus est une des choses qui m’ont le plus frappé à mon arrivée au Tonkin. Cette méthode a fait ses preuves ; hors d’elle, il n’y a, vis-à-vis de la piraterie, que compromissions louches ou expéditions onéreuses et inefficaces.


Qu’il nous soit permis de rendre hommage en passant à l’œuvre de ces deux grands chefs, le gouverneur général Rousseau et le général Duchemin, dont l’intime et féconde collaboration assura d’une manière décisive la destruction de la grande piraterie au Tonkin.


Or, nous le répétons, cette méthode est la négation de la grosse colonne proprement dite, de celle qui, pour ainsi dire, devient le but au lieu de rester le moyen, qui traverse sans s’y arrêter, droit sur un objectif presque toujours fuyant, un pays qu’elle épuise d’autant plus qu’aucun de ceux qui le conquiert n’est directement intéressé à sa préservation.

Mais, si au contraire toute troupe jetée dans un pays neuf