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révolution consommée de la Belgique rendit au gouvernement français plus difficile de supporter l’application.

L’existence seule de ce royaume des Pays-Bas avait été, je l’ai assez démontré, pour la France, à la fois une humiliation et une menace. C’était un monument érigé au souvenir de nos défaites et une barrière opposée au développement naturel de notre activité. Tant que cette construction élevée par la haine et par la passion restait encore intacte au moins en apparence, on pouvait en supporter patiemment l’affront et la charge et même espérer que l’habitude en rendrait le poids supportable : mais, quand elle s’effondrait d’elle-même par un vice intérieur et par une secousse du sol trop violemment comprimé, avait-on promis de laisser les architectes, victimes de leur imprévoyance, accourir en forces à nos portes et sous nos yeux pour en reprendre en sous-œuvre les fondemens ?

L’exigence était excessive et c’eût été pousser loin le scrupule de loyauté que de s’y conformer. D’autant plus que l’intervention étrangère en Belgique, prussienne ou autre, ne serait pas venue seulement confirmer l’état de choses dont la France avait souffert ; elle en aggravait notablement le péril. Appelée aujourd’hui pour subjuguer une nation révoltée, le même motif pouvait être invoqué demain pour la maintenir. Quand une occupation commence, personne n’en peut d’avance prévoir tous les incidens, ni fixer le terme : ce pouvait être la présence indéfinie d’une troupe étrangère, l’arme au bras, sur la lisière de notre territoire, n’ayant qu’un ordre à donner et un pas à faire pour la franchir : un tel spectacle eût-il été supportable ? La Restauration elle-même ne l’avait pas pensé, car, dès l’année précédente, quand Guillaume n’avait encore affaire qu’à des embarras parlementaires, le bruit s’étant répandu qu’il voulait recourir à l’appui des baïonnettes prussiennes, le prince de Polignac avait fait savoir à Berlin que pas un soldat ne pourrait entrer sur le sol belge sans un concert avec la France et son consentement préalable, et il n’avait pas été contredit[1].

D’ailleurs, où la nécessité parle, il n’y a engagement qui puisse tenir, et c’est vrai surtout des engagemens diplomatiques, qui ne sont jamais l’application d’un droit strict, mais seulement le résultat de considérations, toujours mobiles, d’intérêt et de

  1. Archives des Affaires étrangères. Le prince de Polignac au baron Mortier, chargé d’affaires de France à Berlin. Déc. 1829.