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frère qui s’était reconnu lui-même, devant une opinion trop bien établie, incapable de régner. Et quant à l’alliance récente avec la France, elle était l’effet d’une combinaison politique et non d’une amitié personnelle, les deux souverains n’étant ni d’âge ni de situation à s’être jamais rencontrés. Rien ne l’empêchait donc de survivre au changement de dynastie. Tout faisait croire au contraire que, dans la faiblesse orageuse des premiers débuts, un gouvernement naissant comme celui de Louis-Philippe accueillerait avec reconnaissance toute main qui lui serait tendue. En refusant de l’entendre et même de le connaître, on courait risque au contraire de le mettre à la discrétion de l’Angleterre. Et de fait, il faut bien convenir que jamais fantaisie de pouvoir despotique n’eut de conséquences plus graves que celle qui, en mettant la Russie à la tête de toutes les puissances hostiles à la France, a imprimé à la politique générale de l’Europe une inflexion factice dont elle s’est ressentie pendant près de trente ans, et qui n’a cessé qu’après la prise de Sébastopol et la fin de la guerre de Crimée.

Quoi qu’il en soit, dans cet accès d’irritation que personne n’osait contredire, des mesures dont la précipitation seule était insensée furent un instant décrétées. L’entrée des ports de la Baltique fut interdite pendant quelques jours aux bâtimens français portant pavillon tricolore. Ordre fut envoyé à l’ambassade russe à Paris de refuser des passeports aux Français, et aux Russes de partir sans délai de France. L’ambassadeur lui-même dut quitter son hôtel, qui était propriété française. Après l’attitude et même l’initiative que le général Pozzo avait prises, c’était infliger à ce serviteur fidèle un désaveu éclatant qui le couvrait de ridicule. Heureusement, le soin de sa renommée vint en aide à son bon sens naturel, et il eut le courage de surseoir à l’exécution de ces injonctions pourtant faites sur un ton assez menaçant ; il prit le temps nécessaire pour laisser parvenir ses explications à l’Empereur par l’intermédiaire du comte de Nesselrode, coupable comme lui de la même défaillance. La lenteur des communications d’alors avait l’avantage qu’un échange de courriers donnait le loisir de la réflexion, et quelques jours furent suffisans pour que le prince irrité comprît que plus ses actes étaient violens, plus ils seraient sans effet, s’ils demeuraient sans écho, et que lancer une provocation à la France en ébullition, c’était la guerre et Dieu sait quelle guerre ! que la Russie ne pourrait pourtant pas soutenir à elle seule. Dès lors, il fallut faire une démarche instante auprès des