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compte. L’Empereur abhorre ce qui vient de se passer en France : en cela, il ne se livre pas à un sentiment de prédilection pour telle ou telle forme de gouvernement, ou pour tel ou tel système. L’Empereur raisonne, et tout ceci prouve que la vérité n’est qu’une, et qu’appliquée à votre gouvernement, elle démontre que celui-ci se trouve placé dans une situation que l’épithète défausse et de pénible ne caractérise qu’imparfaitement. Le sentiment profond et irrésistible de l’Empereur est que l’état de choses actuel en France ne peut durer. Sa Majesté est également convaincue que le chef de ce gouvernement et que ses ministres ne sauraient se dissimuler cette vérité et que, dès lors, ils devront se livrer avec anxiété a la recherche des moyens de se soutenir le plus longtemps qui se pourra ; ces moyens, ils ne peuvent les trouver qu’en revenant aux règles et aux principes sur lesquels reposent tous les gouvernemens. Dès lors, et abstraction faite de leur origine, ils se trouvent placés sur une ligne d’action qui leur deviendra commune avec tous les gouvernemens d’Europe : tous veulent conserver, les fous seuls veulent détruire. C’est cette conviction qui, aux yeux de l’Empereur, peut seule excuser le parti qu’il vient de prendre. Il est des temps et des circonstances où le bien réel est impossible : alors la sagesse veut que les gouvernemens, comme les hommes, s’attachent à ce qui est le moindre des maux. L’Empereur, en prenant le parti que vous lui voyez suivre, a consulté cette règle, il ne voit derrière le fantôme d’un gouvernement en France que l’anarchie la plus caractérisée. L’Empereur n’a pas voulu avoir à se reprocher d’avoir favorisé l’anarchie ; que votre gouvernement se soutienne : qu’il avance sur une ligne pratique : nous ne demandons pas mieux[1]. »

Était-ce simplement pour mettre sa conscience en règle avec l’orthodoxie conservatrice qu’il croyait nécessaire d’expliquer ainsi par des circonstances atténuantes l’infraction qu’il se voyait

  1. Ce récit des entretiens de Metternich et de l’Empereur avec le général Belliard est tiré à la fois des Mémoires de Metternich lui-même (t. V, p. 17 à 26) et des Mémoires de Belliard (t. I, p. 333 à 365).

    Naturellement, bien que le fond soit le même dans les deux récits, le ton n’est pas semblable. Le général Belliard atténue sensiblement la sévérité maussade du langage de Metternich et s’attribue à lui-même une attitude plus résistante : mais ce qui rend difficile de faire la comparaison, c’est que le général, suivant la fâcheuse habitude des diplomates français, rapporte plutôt ce qu’il a dit lui-même que ce qu’a dit son interlocuteur. Je dois ajouter que M. de Metternich ayant communiqué le récit de sa conversation par une circulaire adressée à ses ambassadeurs, le général Belliard en eut connaissance et en contesta l’exactitude.