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n’était en droit de le faire) que son souverain n’y consentirait jamais, parce qu’il craignait tout ce qui engagerait la liberté de sa politique personnelle : « Soyez certain, dit-il, que mon maître ne brûlera pas une amorce, ne fera pas verser une goutte de sang et ne dépensera pas un sou pour redresser les fautes commises en France. »

Repoussé par cette fin de non recevoir un peu hautaine, mais ne voulant pourtant pas retourner les mains tout à fait vides, Metternich saisit, non sans en laisser voir son dépit, un lambeau de papier où il traça de sa propre main le programme qu’il aurait présenté à la signature des Alliés. Voici en quels termes il était conçu : Adopter pour la base générale de notre conduite de ne point intervenir dans les démêlés intérieurs de la France, mais de ne point souffrir, d’un autre côté, que le gouvernement français porte atteinte aux intérêts matériels de l’Europe tels qu’ils sont établis et garantis par les transactions générales, ni à la paix intérieure des divers États qui la composent. C’est ce qu’on a pris l’habitude, dit toujours Metternich, d’appeler le chiffon de papier de Carlsbad. Correcte, ajoute-t-il, mais faible manifestation de principes ! Effectivement, elle ne contenait rien que d’inoffensif, et, en la portant à Berlin, Nesselrode ne devait avoir aucune difficulté à l’y faire accepter[1].

Pour un habile homme que M. de Metternich prétendait être, il avait, cette fois, trop peu déguisé sa pensée et trop laissé voir qu’au milieu de l’ébranlement général, son soin principal était de renouer la série, interrompue à Vérone, de ces réunions princières et ministérielles où il avait si longtemps tenu le premier rôle et exercé une influence prédominante. S’il voulait refaire la coalition, c’était surtout pour réinstaller sa présidence. Il se voyait déjà ouvrant la première séance du nouveau congrès par un de ces exposés dogmatiques d’allure solennelle, dont il recherchait volontiers l’apparat ; car c’était là un trait singulier de ce vieux praticien politique, qui, pendant sa longue carrière, avait dû faire face à tant de phases diverses, sans opposer jamais aux changemens de la fortune ni fermeté de conviction bien arrêtée, ni surtout de rigueur puritaine, dont la souplesse, l’art de plier à propos et de se retourner à temps était au contraire un des mérites. Il aimait pourtant toujours à donner à l’expression de sa

  1. Mémoires de Metternich, t. V, p. 17 et 62.