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été nulle part franchement remplie. L’approbation était donc très générale, sauf chez quelques partisans attardés de l’absolutisme et chez quelques vétérans des anciennes luttes chez qui la haine de la France l’emportait sur tout autre sentiment, tels par exemple que le vieux baron de Stein, qui s’écriait en recevant les nouvelles de Paris : Voilà encore ce méchant peuple qui va mettre toute l’Europe en trouble ! Mais, à ce petit nombre d’exceptions près, la bienvenue qui saluait en Prusse l’envoyé français était plus réservée dans son expression, mais tout aussi sincère et aussi cordiale qu’en Angleterre.

La question seulement était de savoir si le roi Frédéric-Guillaume lui-même, un des vainqueurs de 1815, suivant l’exemple de ses anciens amis anglais, se laisserait aller, comme eux, au courant de l’opinion. Une forte raison d’en douter, c’est que le vieux souverain, malgré la justice qu’on rendait à ses vertus privées, s’était mis en assez mauvais renom auprès de tout ce qui était libéral ou patriote. On l’accusait, non sans raison, d’avoir promis ou laissé promettre en son nom des libertés de toute espèce, quand il s’agissait de souffler le feu contre Napoléon pour la lutte de l’indépendance nationale, puis, après la victoire obtenue, d’avoir mis tous ces engagemens en oubli, et lancé la Prusse, à la suite de l’Autriche, dans un système de compression à outrance dont la Diète germanique, ne pouvant résister à ces deux directions unies, s’était faite l’instrument docile. Il y avait donc tout lieu de craindre que, dans un moment où leur œuvre commune pouvait être mise en question, la Prusse ne voulût encore agir que de concert avec l’alliée dont elle avait complaisamment accepté, les uns disaient la tutelle, d’autres, moins modérés, la complicité.

Mais ce qu’on ne savait pas, ou du moins ce que pensaient seuls savoir ceux qui étaient initiés aux ressorts secrets de la politique, c’est que c’était aussi le moment où la Prusse, quelque temps gênée dans sa marche par des dangers révolutionnaires qu’elle s’était exagérés, commençait à se lasser d’être entraînée à la suite, on pouvait dire même à la remorque de l’impérieuse voisine, dont elle avait été autrefois, dans des temps trop récens pour être oubliés, la rivale heureuse. La constitution de la Diète, en assurant la présidence au représentant de l’Autriche, mettait les ministres prussiens dans une situation secondaire qu’ils supportaient avec impatience ; aussi, plusieurs des conseillers de Frédéric-Guillaume