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ses volontés. Le rendez-vous dut avoir lieu, non au Palais-Royal, trop encombré de curieux et déjà même de solliciteurs, mais chez la même amie de la famille qui lui avait porté ces nouvelles favorables. Elle dut accompagner jusqu’à sa demeure, assez éloignée du Palais, la princesse à pied et voilée, à travers plusieurs rues encore hérissées de barricades. Le général arriva au rendez-vous, accompagné d’un secrétaire, porteur d’une dépêche encore ouverte, mais dont l’expédition, disait-il, était urgente. Effectivement, après un tête-à-tête assez long avec la princesse, il sortit un instant pour apposer, à la lettre préparée, sa signature. « Prenez cette plume et gardez-la, dit le secrétaire à l’amie qui se chargeait de l’envoi, vous ne savez pas le service qu’elle a rendu : elle a peut-être sauvé la paix du monde. »

La dépêche était probablement celle dont une partie a été déjà publiée, et qui, après un récit exact des événemens, concluait par ces fortes paroles : « La dynastie des Bourbons est effacée de la liste des rois, Charles X et son fils ne peuvent plus régner sur la France. Les droits du duc de Bordeaux sont incontestables, mais, enveloppé dans la ruine de ses parens et encore dans l’enfance, Dieu seul sait le sort qu’il lui destine… Le Duc d’Orléans a paru au milieu de la confusion, et, lorsque la ville était encore encombrée de cadavres, il s’est montré en qualité de lieutenant général du royaume. Les Chambres se sont réunies, et il en a fait l’ouverture : il serait inutile de vouloir chercher la légalité dans toutes ces opérations ; elles sont l’effet de la nécessité et de cet instinct qui porte les hommes à se donner un gouvernement[1]. »

Puis, quelques jours après, quand la royauté eut été proclamée, après un entretien, encore secret, mais cette fois direct avec le roi lui-même, il concluait : « La prudence me paraît conseiller de reconnaître, quand il en sera temps, ce qui est, puisque c’est fait, et d’accorder sa confiance à mesure que le gouvernement deviendra stable, régulier et pacifique, et de se tenir en garde contre les attaques et les violations de territoire, s’il en arrive. Le prince nouveau n’en commettra pas, et, s’il y était forcé, il ne serait plus souverain, car il n’aurait plus de volonté. » Enfin, dans une lettre particulière adressée au chancelier de Russie, le comte de Nesselrode, il résumait toute sa conduite par ces deux

  1. Pozzo di Borgo, par le vicomte Maggiolo, p. 325.