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idée si simple et dont les conséquences pouvaient être si grandes ne passa par l’esprit ni de Charles X lui-même, ni d’aucun de ses conseillers éplorés et épars. Puis, pour discuter même la supposition, qui ne se réalisa pas, le corps diplomatique avait l’avantage de voir à sa tête un chef et un doyen qui, dans une carrière de brillante aventure, ayant figure successivement avec éclat sur les théâtres les plus divers, avait laissé partout sur son passage la renommée d’un esprit politique de premier ordre.

Personne n’était mieux fait pour bien juger de la situation de la France que l’ambassadeur de Russie, le général Pozzo di Borgo. Français, non pas d’origine, mais dès son premier âge (puisque la Corse, sa terre natale, avait été annexée à la France trois ans après sa naissance), il avait siégé dans une de nos premières assemblées et n’en était sorti que pour aller assister son ancien compatriote, Paoli, dans un suprême effort de résistance contre les ordres tyranniques du Comité de salut public. Par une singulière coïncidence, ce fut le moment où un jeune officier d’artillerie, Corse comme lui, et son camarade de jeunesse, assurait le triomphe de la Convention par une inspiration de génie, dont l’effet se fit sentir aussi bien à Ajaccio et à Bastia qu’à Toulon, et Pozzo, vaincu avec son chef, dut se bannir non seulement de la Corse, mais de la France. Cette rencontre inattendue, suivie, pour ces deux enfans du même sol, de fortunes si différentes, engendra dans l’âme du jeune Pozzo une de ces haines propres au tempérament de la race dont il était sorti et qui ne pardonnent pas. Pendant le cours de vingt années d’exil, passant de Londres à Vienne et de Vienne à Pétersbourg, il devint l’âme de toutes les coalitions dirigées non à ses yeux contre la France, mais contre Bonaparte. Puis, quand, par la chute de son ennemi, sa passion fut satisfaite, il retrouva toutes ses sympathies pour le pays qui avait accueilli sa jeunesse. Choisi par Alexandre comme son ambassadeur à Paris, dans tous les congrès auxquels il dut prendre part, il plaida avec chaleur la cause de la France vaincue. Ces sentimens furent même si bien connus, qu’il put devenir, sans que personne s’en étonnât, le conseil et le confident d’un des meilleurs ministres de Louis XVIII, qui songea même un instant à profiter de ce qu’il avait été un instant Français pour l’appeler à la Chambre des Pairs et le prendre comme collègue. S’il était entré moins avant dans la confiance des successeurs de Richelieu, dont il trouvait le zèle royaliste excessif et dont il ne se gênait