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Le choix du négociateur à envoyer était délicat à faire autant que la mission elle-même. Le premier sujet désigné étant tombé malade, celui qu’on lui substitua fut un gentilhomme suisse, appartenant à une des plus importantes maisons du canton de Soleure, mais dont, depuis nombre de générations, plusieurs membres avaient toujours été engagés au service de la France. La tradition s’est perpétuée depuis lors, comme on sait, puisque le nom rappelle un des plus agréables mémoires qui nous soient restés sur les derniers jours de la monarchie et les premiers débuts de la révolution de 1789.

Celui qui le portait alors, Victor de Besenval, ayant servi avec honneur dans la guerre de la ligue d’Augsbourg, avait obtenu le grade de brigadier d’infanterie avec la croix de Saint-Louis. Je ne sais ce qui fit penser qu’il n’était pas moins propre à la diplomatie qu’à la carrière des armes. En tout cas, le récit de M. Syveton, et les extraits, trop rares, peut-être, qu’il nous donne de la correspondance de M. de Besenval, font voir qu’on ne s’était pas trompé dans cette appréciation. Si le tact, la prudence, la finesse d’observation, l’intelligence des situations et des caractères, et l’art de les peindre par un trait juste et piquant sont les principales qualités du métier, M. de Besenval était à coup sûr diplomate de naissance.

Ce n’était pas tout de bien l’instruire, il fallait trouver un moyen de l’expédier. Or, pour atteindre le camp d’Altranstadt, il fallait traverser plus de cent lieues de pays occupé par l’ennemi, et, pour un envoyé secret, il n’y avait pas à songer à des sauf-conduits diplomatiques. Il n’y eut d’autre manière de trouver un passage sûr que de faire prendre à l’envoyé de Louis XIV le rôle de domestique d’un gentilhomme suédois, qui (la Suède étant toujours neutre) pouvait circuler librement. Encore le maître supposé se prêta-t-il difficilement au travestissement, et demanda-t-il, pour plus de sécurité, que les frais de voyage de son valet lui fussent payés d’avance.

Arrivé à Altranstadt, ou plutôt à Leipzig, qui n’en est qu’à quelques lieues, Besenval descendit de derrière le carrosse du gentilhomme suédois, mit bas sa livrée et se présenta dans sa qualité officielle, au grand déplaisir de ses confrères, agens comme lui, qui l’avaient devancé et ne s’attendaient pas à le voir apparaître, le ministre d’Angleterre, M. Robinson, le Hollandais, M. de Kraussberg, et l’ambassadeur impérial, le comte de Sinzendorf. C’était tout un congrès auquel il venait prendre part sans y avoir été invité. Dieu sait cependant que ce n’était pas un lieu commode pour tenir une cour, que ce camp d’Altranstadt ! On ne pouvait y loger que des soldats en campagne, et