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jaloux, les réduit tous à merci et, dès les premiers pas qu’il fait, il est partout précédé et suivi par la victoire. Tous les regards sont fixés sur lui. À ce moment même est engagée en Europe, avec l’ouverture de la succession d’Espagne, une lutte qui met en jeu de plus graves intérêts encore que ceux qu’a conciliés la paix de Westphalie : c’est le sort de la maison d’Autriche, puis celui de la monarchie française elle-même, qui vont être en cause. Comment expliquer que le jeune vainqueur n’ait pas eu la tentation de prendre, à l’exemple de son aïeul, une part glorieuse dans ce grand débat ? Comment n’a-t-il pas tenu à jouer sa partie sur ce grand échiquier qui va s’étendre de l’Allemagne à la France, à l’Italie et à l’Espagne ? Comment son nom ne figure-t-il pas dans les annales militaires des vingt premières années du XVIIIe siècle, à côté de ceux du prince Eugène, de Marlborough, de Berwick et de Villars, comme celui de Gustave entre Bernard de Saxe-Weimar, Tilly, Wallenstein et Guébriant ? Comment, au contraire, a-t-il tourné le dos à l’Europe, où sa place devait être attendue, pour aller se perdre dans les déserts de l’Ukraine, à la poursuite d’une victoire qui fuyait trop vite devant lui pour qu’il pût l’atteindre ? Comment, au lieu d’être ou de rester un grand homme (car dans l’opinion commune il l’était, déjà), a-t-il préféré aller finir comme un héros de roman ?

Le petit volume dont nous recommandons la lecture, et qui porte un nom aujourd’hui avantageusement connu, est destiné à faire voir que, si la question a été résolue dans un sens, après tout, contraire à la renommée de Charles XII, ce n’est pas faute qu’elle lui ait été présentée en temps utile et d’une manière à le séduire par des contemporains, bons juges en fait de grandeur et de gloire : car c’est le récit des offres faites par Louis XIV à Charles XII pour lui faire prendre parti dans la lutte contre l’Empire. C’est le tableau de l’inquiétude que ces propositions causent aux ennemis coalisés de la France, et des efforts qu’ils firent, malheureusement avec trop de succès, pour détourner vers l’Orient sa turbulente activité. C’est donc tout un petit drame que M. Syveton nous raconte avec des documens inédits, qui sont bien cette fois dans le goût du jour. Voltaire, procédant avec sa rapidité ordinaire, l’avait fait tenir tout entier dans ces quelques lignes mises en tête de son troisième chapitre : « Charles reçoit en Saxe des ambassadeurs de toutes les puissances. »

La scène s’ouvre en effet dans le camp d’Altranstadt, à l’entrée de la Saxe, où Charles s’arrête un instant pour respirer et réfléchir après une suite de victoires. Menacé à la fois par le roi Frédéric de Danemark, par Auguste II, électeur de Saxe et roi de Pologne, et par le