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connaître et exécuter le premier… L’abbé Nollet meurt de chagrin de tout cela. » Ces curieuses épreuves, Franklin les a indiquées comme possibles, dans ses lettres à Collinson. Les lettres sont publiées ; Buffon les connaît ; il s’empresse d’exécuter l’ingénieuse expérience. Il pose le premier paratonnerre dans son habitation de Montbard le 19 mai 1752. Ce n’est que le 22 juin de la même année que Franklin à son tour, au moyen d’un cerf-volant capte l’électricité des nuages.


II


Toute cette activité déployée par Buffon dans le domaine des sciences physiques ne lui assure aucun crédit auprès des naturalistes contemporains. Au contraire, elle leur parait « une diversion » à l’étude de la nature. C’est précisément le mathématicien, le physicien, l’écrivain qui leur est suspect ; tel est bien là le sentiment qui se fait jour dès les premières lignes de l’ouvrage de Malesherbes.

Cet ouvrage, on le sait, n’a pas été publié par son auteur. Confié à des mains étrangères, il a sommeillé pendant près de cinquante années dans le fond de quelque tiroir, d’où il n’est sorti que cinq ans après que Malesherbes eut péri sur l’échafaud, dix ans après la mort de Buffon. Il constitue un témoignage de la première heure, et c’est là son véritable intérêt. Les Lettres à un Américain, certainement inspirées par Réaumur, qui, selon l’expression de Cuvier, « tenait alors le sceptre de l’histoire naturelle, » achèvent de nous renseigner sur les préventions qui devaient accueillir à ses débuts l’œuvre de Buffon.

Disons tout de suite que ce sentiment de défiance était naturel et fondé.

L’esprit qui doit présider aux diverses espaces de sciences n’est pas le même : il ne doit avoir de commun de l’une à l’autre que le goût de l’exactitude. L’histoire naturelle était bien loin d’avoir pris possession de tout son domaine ; elle avait plus besoin de s’enrichir de faits que d’idées ; elle était encore trop peu développée pour fournir matière aux tendances à la généralisation et à l’abstraction qui sont communes aux sciences dites exactes. Les naturalistes que Buffon trouvait en face de lui s’appropriaient, en un mot, l’opinion que Buffon lui-même avait exprimée, quatorze ans auparavant, en 1735, dans la préface de sa traduction de la