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Je lui réponds en riant :

— D’abord vous supposez une femme sculpteur. C’est assez rare ! Il n’y a pas encore, il n’y aura sans doute jamais de Michel-Ange féminin !

Et ses protestations me révèlent tout à coup un féministe plus intransigeant que tous ceux que nous pouvons connaître. Je me trouve en face de l’auteur de Rose of Dutcher’s Cooly[1], auquel je préfère décidément l’auteur des Grandes routes.


VI

En ces dernières années, M. Garland a beaucoup habité Chicago : c’est là qu’il a évoqué le type de ce qui lui paraît être la femme nouvelle, la jeune fille de l’avenir, cette Rose, qui est le pendant féminin de son Bradley Talcott, une enfant de la Prairie s’élevant au rang d’artiste par la force du travail et de la volonté. Féminin, avons-nous dit ; le mot n’est pas juste, M. Garland ayant prêté à son héroïne des sentimens et des sensations qui ne sont guère de son sexe ; on en jugera. Ce n’est pas qu’il ne soit capable de comprendre et de peindre des types de femmes vrais et charmans ; il suffirait d’indiquer, dans The Spoil of office, la coquette de village Nettie, étourdie, passionnée, inconstante et sincère ; dans la Troisième chambre, Hélène Davis, l’aimable enfant gâtée d’un grand spéculateur, complice sans le savoir des déprédations d’oiseau de proie commises auprès d’elle par le duc du Fer, comme on l’appelle ; et cette exquise Alice, de Jonas Edwards, la petite élève du Conservatoire de musique de Boston, qui renonce à un bon parti pour suivre ses parens dans l’Ouest, y trait les vaches, y fait le pain, conduit la charrue, et, à la fin, abdique son orgueil en épousant l’honnête homme qui l’arrache, elle et les siens, à cet enfer. Tout le long des Grandes routes, il y a de ces croquis inoubliables, jeunes fermières, petites institutrices, etc., mais celles-là se bornent à vivre, tandis que Rose doit représenter les résultats de l’émancipation de son sexe. Nous avons là, racontée avec une précision de détails, genre Flaubert, la biographie, depuis sa naissance jusqu’à son mariage, d’une fille de fermier du Wisconsin. Elle a perdu sa mère à cinq ans, elle a grandi en pleine liberté dans sa coulée natale, dédaigneuse des poupées, n’aimant

  1. Rose of Dutcher’s Cooly, Hamlin Garland, 1 vol. Chicago, 1899.