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des mœurs mondaines peut être faite avec tout autant de sincérité que celle des mœurs rustiques par qui les observe consciencieusement. Balzac, entre autres, l’a prouvé ; mais que l’on parle de ce qu’on connaît, que l’on peigne ce qu’on voit, rien de plus juste. Le roman local doit être l’expression naturelle d’un pays en formation, où s’agite le problème des races, où la vie populaire est variée à l’infini sur d’immenses espaces et change avec une rapidité vertigineuse, tandis que le monde proprement dit est encore, sauf quelques coteries, sans aucun caractère particulier.

Nous ne sommes certes pas de ceux qui reprochent à M. Garland son fanatisme pour tout ce qui est de l’Ouest, ni même ses grands rêves de décentralisation. L’Ouest est de force à se suffire, nous lui accordons cela ; il l’a montré par le développement de ses Universités, par cette admirable propagande qui, de Chicago, porte des concerts symphoniques faits pour accroître le goût de la musique classique, dans des villes aussi éloignées que Pittsburg, Louisville, Toronto, Saint-Paul ou Omaha ; il l’a montré par cette Association centrale des beaux-arts dont s’occupe activement Hamlin Garland lui-même et qui aide au progrès des élèves dans les villes de l’intérieur, au moyen de conférences, de conseils, de lectures, de reproductions de chefs-d’œuvre, d’expositions circulantes : l’Indiana, le Colorado, le Texas en profitent. Mais il ne s’ensuit pas que l’art, répandu ainsi, puisse être appelé un art nouveau. Il faut tout apprendre avant de pouvoir rien créer, et l’erreur des jeunes artistes qui viennent étudier en Europe n’est pas de s’approprier les méthodes des maîtres français, c’est de rester imitateurs, au lieu de produire leur propre miel, après qu’ils sont allés en chercher la substance là où elle se trouve. Certes les paysagistes américains ont tort de répéter éternellement les clairières de la forêt de Fontainebleau et les plages de Bretagne, quand ils pourraient faire admirer au monde une nature inconnue, celle de chez eux. D’un abord plus difficile que la nôtre, elle est d’autant plus intéressante à vaincre. Il ne s’agit que de chercher, et chercher est le bonheur de l’artiste, c’est sa véritable gloire. Ceci ne m’empêche pas de sourire quand M. Garland s’écrie avec une indignation sincère :

— Nous avons à nous guérir de l’adoration aveugle des idoles étrangères… Ne prenons plus pour maîtres et pour fétiches les Italiens ni les Hollandais. Le tribut payé aux gloires mortes du passé, voilà ce qui nous perd. Le véritisme (encore une mauvaise