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Américains, qui si longtemps n’ont vécu que d’imitation. L’Amérique coloniale dépendait en effet de la métropole pour les modèles et les produits de l’art ; sa littérature ne fut d’abord qu’une annexe de la littérature anglaise, à laquelle la communauté de langue la rattache inséparablement.

Garland ne fait remonter l’indépendance littéraire qu’à la guerre civile, quoiqu’il soit facile de prouver que les plus grands talens qu’ait produits l’Amérique sont antérieurs à 1860 ; mais on ne peut nier que Whittier avec ses poèmes contre l’esclavage, Lowell et ses Biglow papers, Joaquin Muller et ses Chants des Sierras inaugurèrent ce provincialisme qui fut le commencement d’une littérature vraiment originale. Hamlin Garland regrette cependant que le centre académique n’ait fait que se déplacer, que l’Est ait pris dès lors vis-à-vis du reste de l’Amérique l’attitude dominatrice qui auparavant appartenait à Londres. Il adjure les esprits créateurs de s’affirmer en rejetant la terrible oppression du passé. « Tous les jeunes, dit-il, aspirent à cette délivrance, mais ils se heurtent à l’opposition de leurs aînés. Se conformer à ce qui a toujours été fait est facile, c’est comme le sommeil ; s’en séparer, c’est agir dans l’intérêt d’un petit groupe d’élite dont le jugement représente celui de la postérité. Par intervalles, un grand écrivain se lève, un Dante, un Victor Hugo, un Ibsen, novateur ou dissident ; il domine le monde sa vie durant, et après sa mort les critiques s’agenouillent autour de ce demi-dieu, qui dès lors ne fait plus que du mal, car on copie jusqu’à ses défauts, on mesure tout à son échelle. » Les Norvégiens, par exemple, et quelques Américains qui, après M. Claude Monet, représentent pour M. Garland les grands paysagistes de l’époque, sont accusés de telle ou telle hardiesse que Corot ne se permettait pas ; donc ils ont tort ! Pourtant Corot est innocent de ce jugement inepte ; s’il vivait aujourd’hui, il serait à la tête de l’impressionnisme. Shakspeare s’attaquerait aux sujets actuels en iconoclaste qu’il était ; Burns serait un radical, il écrirait en dialecte moderne ; tous ces génies qui se sont insurgés contre l’autorité de leur temps n’ont jamais prétendu barrer le chemin aux génies de l’avenir.

De fait, l’autorité littéraire n’est nullement personnelle ; elle est au fond sociologique. La puissance de l’écrivain dérive de la société où il vit, comme le pouvoir d’un général tient à l’obéissance de son armée. Quand la société change, quand cet auditoire