pour nous étonner outre mesure. Depuis seize ans, les affaires du pays sont menées par un groupe de gens qui ne s’en soucient guère, n’ayant d’autre intérêt que leur intérêt propre. Des citadins, persuasifs et bien mis, se font la courte échelle si adroitement que leur règne semble devoir durer toujours, malgré les soupçons et le mécontentement de la population des campagnes. D’année en année, ces messieurs bâtissent des immeubles, ouvrent des banques, achètent des hypothèques, tout cela, — s’entre-disent les fermiers, — avec l’argent du comité. Les délégués des localités rurales trouvent, chaque fois que s’assemble la Convention annuelle, leur besogne bâclée d’avance ; ils sont réduits à occuper silencieusement leurs sièges tandis que le vilain monde officiel pérore et triomphe, gardant sa place en dépit des cultivateurs qui ont le droit pour eux. La corruption règne dans cette assemblée locale, comme elle règne plus haut dans le Corps législatif de l’État et dans le Congrès.
Il faut croire que l’ancien garçon de ferme sort d’une race de tribuns. L’atmosphère de la Convention lui monte à la tête. Un discours à ciel ouvert contre le monopole et les revenans-bons le rend célèbre d’une heure à l’autre. Il ne combat pas, dit-il, pour mettre dehors les gens de la ville au profit des campagnards, il combat pour chasser les voleurs et faire entrer dans l’assemblée les honnêtes gens.
En même temps que la force de sa parole, il montre la force de ses poings, ce qui ne gâte rien, vu les circonstances. De cette dernière supériorité, il est cependant un peu honteux vis-à-vis de lui-même, car l’exquise conseillère qui trône toujours présente dans son cœur lui défendrait sans doute de s’arrêter à de trop faciles succès. Le voilà étudiant le droit avec courage, bien qu’il soit fermement résolu à subordonner toujours la chicane et la procédure à la loi commune et au sens commun. Il est aidé dans ses efforts par un vieux juge, l’un des personnages les plus sympathiques de ce récit où les caractères de second plan sont infiniment variés et curieux.
Que devient cependant miss Wilbur ? Bradley ne sait rien d’elle, sauf par les journaux qui rendent compte de ses conférences. Jamais il ne l’a revue depuis le fameux pique-nique des fermiers de la Grange. Enfin un hasard tardif amène Ida, au cours d’une de ses tournées, dans la ville qu’il habite. Il la retrouve moins svelte, moins jeune, avec la dignité tranquille dont