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— Comment ! c’est le double de ce que vous demandiez il y a trois ans !

— Sans doute, puisqu’en trois ans elle a doublé de valeur.

— Mais j’ai acheté à terme mes outils, mon bétail, mes semences ; mais j’ai dépensé quinze cents dollars en améliorations ! Cet argent était à moi.

— Comme est à moi la terre.

— Vous vous êtes engagé à me la vendre ou à me la louer, à mon choix, au bout de trois ans.

— Oui, mais je n’ai pas dit que je continuerais le bail au même prix, ni que je vous laisserais emporter ce que vous y aviez mis. D’une façon ou d’une autre (cela ne me regarde pas), mon bien a doublé ; c’est cinq cents dollars par an qu’il me faut dix pour cent, toujours, ou bien achetez-la.

L’autre se récrie ; il invoque des promesses.

— Ne vous liez à personne, mon garçon ; d’ailleurs j’ai la loi pour moi, je fais ce que tout le monde fait.

Qu’on le traite de brigand, de voleur, peu lui importe, pourvu qu’on lui donne deux mille dollars tout de suite, avec hypothèque à dix pour cent sur le reste.

A la première stupeur de Haskins succède un accès terrible de révolte. Il brandit sa fourche sur la tête du misérable exploiteur, il va l’écraser.

— Chien que tu es, tu ne voleras plus personne !

Mais, au moment même, éclate un rire d’enfant et apparaît au loin une petite tête blonde. Le malheureux jette sa fourche :

— Allez faire préparer l’acte et ne mettez plus le pied sur ma terre. Autrement, c’en est fait de vous.

Puis il tombe assis sur les gerbes, anéanti, le front dans ses mains. Comment aurait-il résisté ? Il est sous la griffe du lion.

Garland revient souvent sur ce trafic des terres qui se poursuit partout en Amérique, même dans les régions où elles sont censées à la disposition du premier occupant, dans les paradis inexplorés qui ne comptent encore ni riches ni pauvres, où l’on ne connaît pas la propriété. C’est du moins ce que préconisent les affiches enluminées d’épis d’or gros comme le bras qui n’attendent apparemment que d’être semés pour enrichir le Jardin de l’Ouest ! L’ouvrier de New-York ou de Boston mord à ces décevantes promesses[1]. Il part pour Chicago. Là, il prend avec

  1. Jason Edwards, an average man, Hamlin Garland, New-York, 1 vol. 1897.