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moyen, le navigateur le moins expérimenté peut très bien se passer des nombreux pilotes qui font le guet pour lui offrir leurs services. Le vaste entonnoir, dans lequel s’engouffrent les flots de l’Océan pour venir à la rencontre des eaux du fleuve, est naturellement encombré de nombreux dépôts. Ces dépôts se modifient sans cesse ; et les anciennes cartes marines, bien qu’elles soient d’une incorrection qui ne permet pas d’avoir une grande confiance dans leurs relevés de détail, indiquent clairement les variations de tous ces bancs, qui forment dans le golfe un très large seuil, coupé par une série de tranchées assez profondes. Ces tranchées sont les passes.

Actuellement, il y en a deux principales : la passe du Nord, qui longe la côte de Saintonge et double le promontoire de la Coubre ; la passe du Sud, qui longe la côte de Gascogne et double la pointe de Grave. Les courans marins les ont toutes deux profondément labourées. Entre ces deux passes sont disséminés une série d’îlots noyés en forme de demi-cercle, et dont le centre est occupé par l’écueil de Cordouan. Un abaissement de 7 à 8 mètres seulement dans le niveau moyen de la mer ferait émerger tous ces bas-fonds, et l’on verrait alors surgir dans le golfe un véritable archipel d’îles, de forme et de nature très variables, les unes rocheuses, les autres vaseuses. Cet archipel présenterait la forme d’un triangle dont l’un des angles, celui de l’Est, diviserait en deux bras la Gironde, le bras droit passant le long de la côte de Saintonge et rasant la pointe de la Coubre, le bras gauche rasant la rade du Verdon et doublant la pointe de Grave.

Le fleuve actuel a donc un véritable delta sous-marin qui pourrait bien peut-être apparaître un jour si la côte venait à se soulever ; et c’est presque exactement au centre de ce delta, à égale distance des caps de Grave et de la Coubre, que se dresse le plus ancien et peut-être le plus célèbre des phares de France, la tour de Cordouan. Cordouan est le véritable gardien du passage, le pilote permanent qui donne au large la première indication de la route à suivre. Sans lui, l’entrée de la Gironde serait une opération toujours délicate, souvent une aventure dangereuse. Sa seule présence est un avertissement et un secours.

L’origine du phare et celle de son nom sont un peu douteuses et entourées d’un certain mystère. Faut-il, avec certains étymologistes, faire dériver Cordouan de Cordoue, et attribuer la construction du phare aux Maures d’Espagne, qui auraient conservé