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On sait seulement, toujours d’après Ausone, que le bassin de la fontaine avait été recouvert d’une voûte et d’une coupole de marbre en manière de temple[1]. Ce petit édicule sacré indiquait donc bien que la fontaine était réellement divinisée. Son nom seul, Divona, dont l’étymologie est transparente, suffirait d’ailleurs à le prouver, et elle l’a donné à la modeste rivière, la Devèze, dans laquelle elle écoulait le trop-plein de ses eaux. Dans l’idiome celtique, en effet, la qualification de Divona s’applique généralement aux sources saintes, et on retrouve l’épithète div avec la même signification dans toutes les langues aryennes de l’Europe[2].

Historiquement, on regarde comme à peu près certain que Bordeaux a été fondée par la tribu celtique des Bituriges Vivisques, Bituriges Vivisci, qui n’était qu’une fraction des Bituriges Cubi, l’un des principaux peuples de la Gaule, et dont le centre le plus important était la ville de Bourges, l’ancien Avaricum. Chassés de leur pays par une de ces invasions kymriques qui se sont succédé presque sans interruption du VIIe au IVe siècle avant notre ère, les Bituriges émigrèrent vers le Sud et vinrent camper sur les bords de la Garonne, à l’entrée du désert des Meduli, qui devait devenir plus tard le riche et fertile Médoc. À l’époque où Strabon écrivait, ils paraissaient être établis depuis trois ou quatre siècles et avoir même acquis une certaine puissance[3]. Les maisons et les hangars de la ville marchande étaient groupés autour de la source miraculeuse, qui naissait presque au milieu des sables dans cette région incertaine de landes et de dunes, où les alluvions maritimes alternaient avec celles du fleuve. Le point d’émergence de la fontaine devait donc se trouver, d’après cela, au cœur même de Bordeaux ; et il ne serait pas impossible que ce fût, à peu de chose près, aux abords de Saint-André, comme nous l’avons indiqué plus haut, sans pouvoir donner à ce sujet une preuve absolue.

L’estuaire était le bassin même de la fontaine, dans lequel pénétraient les eaux de la mer à marée haute et que l’on avait élargi de manière à en faire un port intérieur mieux abrité et plus commode que ne l’aurait été la rivière elle-même. La fontaine sainte, devenue ainsi par degrés le génie ou le dieu tutélaire de

  1. Quid memorem Pario confectum marmore fontem ? Auson. Clar. Urb., Burdig.
  2. Divona Celtarum lingura, fons addite Divis. Id., ibid.
  3. Strab., IV, II, 9.