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les populations primitives vinssent se grouper aux abords mêmes des sources limpides, charmées et arrêtées par cet attrait de l’eau qui répond à tant de besoins de la vie. Un assez grand nombre de villes celtiques ont ainsi commencé sur le bord même des fontaines, que l’on adorait sans leur donner encore de nom, comme le petit coteau boisé ou le rocher au pied duquel elles jaillissaient. Le sentiment de reconnaissance que les premiers habitans éprouvaient pour cette eau bienfaisante, qui abreuvait leurs troupeaux et fécondait leurs terres, prit insensiblement le caractère d’un culte dont la forme, simple et vague dans le principe, se transforma peu à peu en pratiques régulières et en dévotion assez formaliste. Ce culte était d’ailleurs partout à peu près le même, et la simplicité du cérémonial ne manquait ni de grandeur ni de poésie. Le rite principal était l’ablution. Les fidèles se trempaient les mains dans l’eau sainte et s’en mouillaient silencieusement les yeux, le front et les lèvres. Les bras ouverts, dans l’attitude des « orantes, » ils récitaient des prières, presque toujours gracieusement rythmées, et dont on retrouve l’écho dans l’invocation d’une élégance toute païenne qu’Ausone adressait à la source même de Bordeaux, sa patrie, et qu’il est impossible de ne pas citer comme témoignage de l’adoration et de l’enthousiasme qu’elle inspirait : « Salut à toi, Divona, fontaine à la source mystérieuse, sainte, intarissable, bienfaisante, cristalline, azurée, profonde, murmurante, limpide, ombragée ! Salut, génie de la ville, qui nous verses une eau salutaire et que les Gaulois ont mis au rang des Dieux[1]. »

Il est assez difficile de savoir où se trouvait au juste le point d’émergence de la fameuse source. On a dit bien des fois, sans trop de raison à la vérité, que la haute tour de Puy-Berland, isolée à la façon des campaniles italiens, qui se dresse à 30 mètres environ du chevet de la cathédrale Saint-André, et dont la construction date du milieu du XVe siècle, se trouvait exactement sur l’emplacement de l’ancienne Divona. Le clocher chrétien aurait ainsi remplacé le sacellum païen, suivant cette règle plusieurs fois vérifiée que les édifices se superposent comme les religions, et que dans bien des endroits les églises du moyen âge se sont pour ainsi dire greffées sur les substructions de temples antiques ruinés par les barbares ou le temps. Mais rien n’est moins certain.

  1. Auson. Clar. Urb. Burdig., v. 29-32.