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des côtes de l’Océan où l’action de la marée est très énergique, et que le flot et le jusant se fassent sentir à plus de 50 kilomètres en amont de Bordeaux, le fleuve, il y a trois siècles à peine, présentait avant son embouchure une sorte de delta. Ce delta, nous l’avons dit, était l’île du Médoc. Sa pointe amont paraît avoir été à une quarantaine de kilomètres environ de l’Océan. Le bras droit, le plus long, suivait à peu près la direction que la Gironde a conservée, et longeait les falaises de la côte de Saintonge jusqu’au cap de la Coubre, l’ancien promontoire des Santons, Santonum promontorium, des géographes classiques[1] ; le bras gauche, beaucoup plus court, se rendait directement à l’Océan par une coupure qui traversait les terrains et les prairies submersibles situés entre Lesparre et Jau, devait passer à peu près dans la dépression occupée aujourd’hui par l’étang de la Barreyre, et débouchait en mer près la pointe de la Négade, un peu au Sud de Soulac. Au XVIe siècle, Lesparre se trouvait encore sur la rive gauche de cette passe maritime. Jau et Talais lui faisaient face sur la rive droite et étaient par conséquent incorporés dans la grande île du Médoc ; peut-être même constituaient-ils deux petits îlots isolés, et le delta se composait ainsi d’un certain nombre d’îles, sorte d’archipel dont l’île du Médoc aurait été le principal élément.

Il serait sans doute imprudent de trop préciser à ce sujet ; et de ce dessin perdu on ne peut sans doute rétablir que les grandes lignes. Toutefois il est impossible d’infirmer la valeur de portulans et de cartes dont la naïveté même est une preuve de sincérité ; et tous ces documens, on ne peut le nier, s’accordent pour représenter à l’embouchure de la Gironde une grande île du Médoc, ayant l’importance d’un petit territoire et paraissant se souder en mer aux rochers de Cordouan. Ces rochers, que le flot de marée recouvre aujourd’hui de plus de 2 mètres et au centre desquels se dresse l’un des phares les plus connus des côtes de France, étaient habités, cultivés, tout comme les terres du continent ou de l’île du Médoc qui lui faisait face ; et les vieux paysans de la banlieue de Bordeaux ont même conservé la tradition un peu vague de vignes qui y auraient été autrefois exploitées et dont le souvenir est resté à l’état de légende. Les relevés hydrographiques exécutés depuis le commencement du siècle

  1. Σαντόνων ἂϰρον (Santonôn akron). Ptol. II, VII, 2.