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Dans certains cas, le lit s’élargit au point de devenir une petite baie, un véritable bras de mer. Le fond ne s’exhausse pas et la navigation n’éprouve aucune difficulté pour passer avec un bon mouillage des eaux maritimes dans les eaux fluviales. La mer entre et circule librement dans ces vastes embouchures. Ce sont les « fleuves à estuaire. » La Tamise, la Seine, la Loire, la Gironde, l’Hudson, le Saint-Laurent nous offrent des exemples de ces conditions éminemment favorables au développement des grands établissemens maritimes. Londres, Rouen et le Havre, Bordeaux, Nantes et Saint-Nazaire, New-York, Québec, disposés ainsi dans l’estuaire ou sur le cours de leurs fleuves respectifs, communiquent à la fois avec la mer et l’intérieur des terres, peuvent recevoir et échanger, d’une manière simple et directe, toutes les marchandises, soit d’importation, soit d’exportation ; et les grands cours d’eau navigables sont en quelque sorte le prolongement de la mer dans l’intérieur du continent.

Quelquefois, au contraire, le fleuve se divise, avant d’arriver à la mer, en deux ou plusieurs branches, qui elles-mêmes se ramifient en plusieurs autres, en formant une vaste île triangulaire divisée souvent par de petits bras secondaires. Ce sont les « fleuves à delta. » Chacune des embouchures est alors encombrée par les sables et les limons charriés par le courant, et la profondeur est à peine suffisante pour y permettre le passage de quelques allèges. Point de port aux embouchures ; ils en sont tous à une distance plus ou moins grande, dans quelque rade abritée ou derrière une lagune de la côte. Tels sont le Pô, le Danube, le Nil, le Rhône, dont les embouchures sont à une distance assez considérable des ports correspondans, Venise et Trieste, Odessa, Alexandrie, Marseille.

C’est à l’action de la mer seule qu’il faut attribuer cette différence radicale entre les formes des embouchures. Les estuaires profonds se trouvent sur les côtes où l’influence du flux et du reflux est le plus sensible ; l’oblitération des embouchures a lieu, au contraire, dans les mers sans marée.

On conçoit, en effet, que, lorsque les limons et les sables de fond, entraînés par le courant du fleuve, rencontrent la masse des eaux tranquilles d’une mer intérieure, ils se déposent immédiatement et forment un bourrelet d’alluvions qui affecte la forme d’une courbe dont la convexité est naturellement tournée du côté de la mer. Ce dépôt est plus ou moins remanié par le