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de tous ; mais la perversion dans les esprits de la notion même de gouvernement, et l’introduction dans la forteresse de l’ennemi, qui n’y entre, il le dit lui-même, que pour la livrer, sont autrement redoutables. Ce n’est pas tant parce que les socialistes s’organisent que parce que le gouvernement se désorganise et s’abandonne que l’avenir nous paraît sombre et le présent criminel.


Il est déjà un peu tard pour parler du discours de M. Chamberlain à Leicester. Le monde entier en a retenti, et les commentaires en sont aujourd’hui presque épuisés. De l’aveu général, M. Chamberlain a été mal inspiré ; personne, même en Angleterre, n’a pris sa défense. Tout au plus les journaux les plus bienveillans, comme le Times, ont-ils plaidé pour lui les circonstances atténuantes, en insinuant qu’il n’était pas responsable de son instruction première, et que, si elle avait des lacunes, ce n’était pas sa faute. Il ne comprend pas toujours le sens exact et la valeur des mots qu’il emploie ; mais c’est seulement faute d’usage. Nous ne savons pas, car il ne l’a pas dit, si M. Chamberlain a été bien satisfait d’être défendu par des argumens qui rappellent un peu le pavé de l’ours. La vérité est qu’il a obéi à deux sentimens dont un homme politique devrait toujours se garder avec soin : il a voulu se faire valoir avec quelque excès en éblouissant les yeux des merveilleux résultats de sa politique, et il a voulu aussi morigéner et rabaisser une nation voisine, en la traitant sur ce ton de morgue et de supériorité qui déplaît chez tout le monde, mais qui offense et blesse de la part du représentant attitré d’un gouvernement étranger. On croirait vraiment que M. Chamberlain a voulu traiter la France comme le Transvaal, pour arriver contre elle à un dénouement analogue !

Il y avait, depuis quelque temps, en Angleterre une assez vive irritation contre nous : M. Chamberlain a pensé qu’il pouvait exploiter cette mauvaise humeur, et qu’il y trouverait quelque popularité. Peut-être son calcul aurait-il été exact s’il était resté dans une mesure convenable ; mais il en a tellement dépassé les limites qu’on s’est refusé à le suivre et qu’une protestation a éclaté. On nous reprochait, et M. Chamberlain nous a reproché avec plus d’amertume que personne, les écarts de quelques journaux à images, où la fantaisie de nos dessinateurs n’avait pas respecté la majesté de la reine. Nous ne voulons pas rechercher si les Anglais eux-mêmes ne nous en avaient pas donné quelquefois l’exemple, car cet exemple, même lorsqu’il venait d’eux, n’était pas bon à suivre et ne saurait justifier ceux qui s’en