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Les socialistes viennent de montrer, en même temps, qu’ils se détestaient entre eux, et qu’ils voulaient quand même marcher d’accord ; et ils ont créé l’instrument de leur accord. Cela donne un sens très sérieux au Congrès qui vient de se clore, et ceux qui l’ont conduit vers ce dénouement ont le droit d’être satisfaits de leur succès. En face du gouvernement légal, il y en a un autre, qui a déjà des ramifications partout et qui cherche à les étendre encore. Il aura désormais un centre d’où le mouvement se transmettra dans les organisations les plus diverses : syndicats, comités électoraux, conseils municipaux et généraux, groupes parlementaires, ministère même, puisque, au moins pour le moment, le parti a un représentant dans le ministère. Et cela, certes, est inquiétant. On ne saurait se méprendre sur le but révolutionnaire et violent que poursuivent les socialistes ; tous leurs orateurs l’ont proclamé à qui mieux mieux, et s’ils ont différé entre eux, c’est seulement sur les meilleurs et les plus sûrs moyens de l’atteindre. Encore tous s’entendent-ils pour reconnaître que, le moment venu, c’est par un coup de force qu’il faudra terminer l’œuvre entreprise et préparée de longue main. M. Jaurès l’a dit comme les autres. S’emparer des pouvoirs publics, cela signifie en bon français tracer des parallèles ou creuser des mines autour de la place jusqu’à l’heure où, après être arrivé au pied des murailles et s’être créé des intelligences de l’autre côté, on pourra livrer sûrement l’assaut final. Ce travail préalable a déjà été poussé très avant, puisque les socialistes, après avoir envahi un certain nombre de conseils municipaux, sont entrés en force à la Chambre et y forment un groupe compact, destiné sans doute à grossir encore. Ce n’est pas eux seulement qui font tout ce qu’il faut pour cela : on les y aide, tantôt par négligence, tantôt par faiblesse ou complaisance, tantôt par complicité directe. Enfin, on leur a ouvert la porte de la citadelle. Nous avouons ne pas comprendre les préjugés arriérés de M. Jules Guesde lorsqu’il tonne contre la violation des principes dont M. Millerand s’est rendu coupable. C’est M Jaurès qui a raison contre M. Guesde ; il n’a que trop raison, hélas ! et l’entrée de M. Millerand dans le ministère, sans parler des nombreux services qu’il lui a rendus depuis, a fait faire à son parti un pas énorme. Le socialisme a acquis par-là une avance de plusieurs années sur ce qu’il pouvait raisonnablement espérer de ses progrès futurs. Mais, si nous ne comprenons pas M. Jules Guesde, nous comprenons encore bien moins le gouvernement qui a appelé M. Millerand dans son sein. Là est la faute inexpiable ; on en voit déjà les premiers effets. L’unité quelque peu factice du parti socialiste n’est pas le plus grave