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syndicats dont nous avons déjà dit un mot, et qui naturellement avaient été invités au Congrès ; mais ils ont très peu répondu à l’appel qui leur avait été adressé, et presque tous se sont abstenus. On comptait en avoir cinq cents représentés, et il n’y en a eu qu’une cinquantaine. C’est là un symptôme très curieux. Il ne signifie pas que les syndicats désavouent le Congrès, mais qu’ils veulent rester indépendans, sauf à se plier aux conditions de l’unité lorsqu’on les aura établies. Mais tout cela n’a qu’un intérêt de second ordre. Comment a été tranchée la question Millerand ? Comment l’unité a-t-elle été sauvée ? Ce sont là les résultats essentiels du Congrès.

M. Jaurès a parfaitement posé dans son discours l’antinomie qu’il s’agissait de résoudre. Il a commencé par déclarer que la lutte de classes était, en tant que méthode, le socialisme tout entier, et que la lutte de classes interdisait à un socialiste d’entrer dans un ministère bourgeois. Il était difficile de mieux établir les principes. Mais, après l’avoir fait, M. Jaurès a ajouté qu’il y avait cependant des circonstances où la règle, tout absolue qu’elle était, devait fléchir, soit parce que le péril de la République appelait tous ses enfans à se grouper autour d’elle, soit parce qu’il s’agissait d’une œuvre limitée dont l’accomplissement était conforme à l’intérêt du parti et devait lui faire faire un progrès décisif. En d’autres termes, le discours de M. Jaurès, et, bientôt après, celui de M. Viviani, se résument dans le vieil adage que l’exception confirme la règle. C’est ce qu’il fallait faire accepter au Congrès, et la tâche était difficile. La majorité, en effet, paraissait acquise à l’opinion contraire, et ses orateurs, MM. Guesde et Lafargue entre autres, paraissaient au premier abord très résolus à ne faire aucune concession. Ils ont dit l’un et l’autre tout ce qu’ils avaient sur le cœur. Jamais M. Jaurès n’a été traité à la Chambre, par aucun de ses adversaires, comme il l’a été au Congrès par M. Lafargue. M. Lafargue a fait le tableau, a décrit les allures, a montré les dangers de ce néo-socialisme qui a changé complètement le caractère du parti, et presque de la doctrine. M. Jules Guesde, à son tour, n’a rien ménagé. Il a parlé fort sensément, à notre avis, de ce qu’il y avait de décevant pour les socialistes dans l’arrivée d’un des leurs au ministère, mais d’un seul, isolé, et par conséquent impuissant. Le fait en lui-même éveilla de grandes espérances, bientôt changées en désillusion. Lorsque les ouvriers socialistes ont appris, les uns dans la poussière surchauffée des ateliers, les autres au fond des mines, que M. Millerand était ministre des Travaux publics, ils ont pensé — et n’en avaient-ils pas le droit ? — que le moment était bon pour se