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effort consistait à s’organiser en syndicats et à faire reconnaître ces syndicats par la loi. On sait qu’ils y sont parvenus en 1884. Le socialisme, dans cette phase de son existence, ne faisait pas encore beaucoup parler de lui. Tout d’un coup, un certain nombre de ses adeptes sont entrés à la Chambre et y ont fait grand bruit. M. Guesde a été à la Chambre ; M. Lafargue n’a fait qu’y passer ; M. Vaillant y est encore ; mais ce n’est pas eux qui ont renouvelé la physionomie du parti. M. Jaurès et M. Viviani ont été les principaux ouvriers île cette transformation. Orateurs l’un et l’autre et doués d’une infatigable activité, toujours prêts à la propagande, accourant partout où on les appelait, se mêlant aux incidens de chaque jour pour les apprécier à leur point de vue, subtils comme les sophistes et abondans comme les rhéteurs, ils ont été les clairons du socialisme et l’ont fait pénétrer dans toutes les oreilles, sinon dans tous les esprits. L’origine toute parlementaire de ces nouveaux venus, et leurs procédés d’esprit et d’action, qui étaient tout oratoires, devaient les distinguer de leurs devanciers. Il semblait parfois que leurs convictions fussent improvisées comme leurs discours. Elles s’adaptaient aux circonstances. M. Jaurès, malgré sa fougue, et M. Viviani, malgré sa vigueur, ne dédaignaient pas les moyens de tactique sans lesquels on n’arrive à rien dans une assemblée. Ils savaient parler à propos et ne découvrir de leur pensée que la partie qui était en situation. Ils louvoyaient avec les difficultés. Ils prenaient des formes différentes. Enfin ils étaient effrontément opportunistes. Nous n’avons pas encore parlé de M. Millerand, qui occupe pourtant aujourd’hui une si grande place dans le parti, et qui, en l’absence de M. Jaurès, non réélu aux élections dernières, en était devenu le chef parlementaire. C’est que M. Millerand est, en somme, un rallié du socialisme. Appartenant à la Chambre bien avant que le socialisme y eût fait son entrée, il n’avait rien fait pour l’y introduire. Il était alors un simple radical. Puis il a trouvé son chemin de Damas ; une révélation subite l’a éclairé. Le phénomène s’est produit au moment où le parti radical, après maintes mésaventures, était arrivé à son déclin. Il avait perdu ses principaux chefs et la plupart de ses soldats. Diminué en autorité et en quantité, il ne pouvait plus jouer de rôle qu’à la condition de s’appuyer sur les socialistes de plus en plus envahissans. M. Millerand n’a pas hésité : il est passé au socialisme. Si rien ne l’en avait rapproché jusque-là, rien non plus ne l’en séparait, et son adhésion a sans doute été aussi sincère qu’elle a été complète. Quant aux socialistes, ils se sont empressés d’accueillir cette recrue précieuse. Nous ne savons pas ce qu’en ont pensé les vieux doctrinaires, comme