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société de religieuses, pour la plupart françaises ! Ou bien encore, la lettre où il décrit, à un ami de Londres, la vie qu’il mène à Samoa, et les rapports qu’il entretient avec les indigènes ! De telles lettres, si seulement une traduction parvenait ù leur garder le charme de leur style, suffiraient à faire comprendre pourquoi la renommée littéraire de Stevenson, au contraire de celle de la plupart des romanciers anglais, grandit et s’étend d’année en année. Le temps est loin où les critiques considéraient l’auteur du Prince Othon comme un simple amuseur, le continuateur d’Alexandre Dumas et de M. Jules Verne. Cet amuseur a dès maintenant sa place au premier rang des poètes de son pays ; et lorsque, le mois passé, le gouvernement anglais a cédé à l’Allemagne les îles de Samoa, c’est la nation tout entière qui a déploré qu’un drapeau étranger doive désormais abriter la tombe de l’un des plus aimés de ses écrivains. En effet Stevenson méritait d’être aimé. Son œuvre n’était point, comme bien d’autres, un simple exercice d’invention ou de style ; elle jaillissait du plus profond de son âme, et l’émouvait lui-même autant que ses lecteurs. Mais les quelques grandes lettres que j’ai citées nous prouvent, de plus, que peu d’âmes d’écrivains ont uni aux mêmes degrés les qualités les plus différentes, depuis une ardeur de passion vraiment héroïque jusqu’aux mille nuances légères de l’ironie et de la gaieté. Oui, l’auteur de ces lettres était, par-dessus tout, un poète : et tous ceux qui l’admirent et qui l’aiment doivent savoir gré à M. Sidney Colvin de l’avoir si pieusement traité en poète, au lieu de nous introduire dans la confidence des menus incidens de sa vie privée.


T. DE WYZEWA.