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leur vengeance. Ils en emprunteront le sûr et terrible instrument au répertoire de Hugo, de Dumas et de Pixerécourt. Un orfèvre mâtiné d’alchimiste a préparé un cercle d’or où tient un poison foudroyant. Aliénor introduira ce cercle empoisonné dans le diadème qu’elle doit poser pendant la cérémonie du sacre sur la tête du jeune Louis IX. Celui-ci mort, la voie s’ouvrira libre aux ambitions de Hugonnel, et non pas aux siennes seulement. Car à cet instant solennel il révèle à Aliénor qu’elle est une petite-fille de Charlemagne. Et il attend l’effet de manœuvres si bien combinées… Cependant la cérémonie du sacre s’achève. Louis IX est couronné et il n’est pas mort. Qu’a donc fait Aliénor ? Ce qu’elle a fait ? Depuis qu’elle connaît le secret de sa naissance, elle respecte en elle la lignée à laquelle elle appartient, elle a horreur des crimes dont elle s’est faite la complice, et pour se punir elle place sur sa tête le cercle empoisonné et tombe morte.

Elle est morte : le fond du théâtre s’ouvre pour nous laisser apercevoir le lit où elle dort son sommeil radieux et près duquel, tour à tour, le légat du pape, la reine mère, le petit roi, ceux qui représentent la cause à laquelle elle a voulu s’immoler, viennent déclamer de pieuses lamentations. Véritable idée de poète, qui rend au drame son ampleur et sa dignité et égale presque ce troisième acte au premier. Pour finir, Thibaut tue Hugonnel, l’esprit du bien celui du mal. Puis il part, allant vers quelque croisade. Il part ; celle qu’il faut plaindre, c’est celle qui reste.

Sur cette armature, ce n’est pas à vrai dire une étude historique que M. de Bornier a fait tenir. Les personnages n’ont pas, à défaut de cette ressemblance de portraits toujours illusoire et dont aussi bien nous ne nous soucions guère au théâtre, cette complexité et ce relief qui donnent l’illusion de la vie. Du rôle joué par Blanche de Castille et des traits conservés par les historiens se dégage une physionomie qui a des chances d’être conforme à la réalité, mais qui en tout cas est fortement accusée. Cette Castillane devenue Française est passionnée, impérieuse, jalouse, énergique jusqu’à la violence et persévérante jusqu’à l’entêtement. Elle a toutes les vertus viriles et aussi toute l’adresse et les grâces insinuantes de la femme. Mais c’est au service des intérêts qui lui sont confiés qu’elle met les ressources de sa nature excessive et son génie. Politique, elle divise ses ennemis aussi bien que guerrière elle les combat, et toute sa piété ne l’empêche pas de s’opposer aux prétentions de Rome et aux envahissemens du clergé. Elle aime d’un amour exclusif ce fils qu’elle nourrit elle-même, au point de lui faire rendre le lait qu’il boit au sein d’une autre. Elle le