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ment prospères ont transformé le pays comme par enchantement, et Arcachon est devenu une ville d’hiver et d’été. La séduction d’un climat presque toujours tempéré, les émanations salutaires des essences résineuses, le contact presque immédiat de la mer et de la forêt ont favorisé la création de deux villes distinctes, l’une sur la plage, l’autre sous bois, fréquentées tour à tour par les baigneurs, les touristes, les oisifs, les délicats, et, pendant certains jours de fête ou de repos, envahies par toutes les classes de la population bordelaise. Hôtels de tout rang et de tout ordre, cottages de tous les styles, chalets suisses, manoirs gothiques, clochetons chinois, pavillons mauresques, pagodes hindoues, toitures à tourelles crénelées, balcons en bois colorié s’étendent et se développent sur une lieue de plage encombrée de restaurans, de chevaux, de boutiques de toutes sortes, le tout neuf, verni, un peu criard, ressemblant assez à une foire perpétuelle ou à l’esplanade des Invalides le jour d’entrée gratuite de l’une de nos expositions périodiques. Il y a cinquante ans, toute la côte aurait été vendue très chèrement 100 louis ; elle vaut aujourd’hui une centaine de millions. La vieille devise d’Arcachon : Heri solitudo, hodie vicus, cras civitas, pouvait sembler prétentieuse ; elle est devenue réalité.

La population fixe du petit hameau, hier encore presque désert, dépasse 8 000 âmes ; en été, elle est presque triplée. Le chemin de fer y apporte plus de 200 000 voyageurs et le pays est toujours en voie de progrès. À l’exploitation de la résine et des bois de construction, à l’abondance de la pêche, à l’attrait des bains de mer, à la vogue croissante des villégiatures hivernales est venue s’ajouter une autre source de richesses : c’est le développement de l’industrie ostréicole. De tout temps, la nature du fond de la baie d’Arcachon a présenté les conditions les plus favorables à l’élevage de l’huître, qui s’y multiplie à profusion et y grossit rapidement. Elle s’y est agglomérée longtemps en bancs naturels tellement riches qu’on pouvait croire la mine inépuisable et qu’on ne la ménageait pas ; mais les abus n’auraient certainement pas tardé à amener une ruine complète, si une direction intelligente, une sage réglementation et les procédés de la reproduction artificielle n’avaient heureusement tempéré une exploitation inconsidérée. Aujourd’hui, sur tout le parcours du bassin, plus de 4 500 hectares de terrain sont transformés en 5 000 parcs, qu’on appelle des « crassats, » dont la mise en exploitation exige