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« Plusieurs » et « très peu » ne sont pas des chiffres. Ailleurs il est plus précis, et, après une série d’observations de près de dix années, évalue à 20 ou 25 mètres par an le progrès annuel des dunes de la Teste et de Lège[1]. Il serait sans doute inexact de généraliser et d’étendre à l’ensemble du massif la vitesse de marche observée sur ces quelques points isolés. On peut très bien, en effet, considérer les dunes comme des sabliers gigantesques, des chronomètres naturels qui mesurent en quelque sorte la durée des temps ; mais on ignore au juste comment ces chronomètres sont réglés, et il est douteux qu’ils le soient tous de la même manière. Il est certain cependant que la marche progressive de ces montagnes mouvantes a été pendant longtemps un désastre pour la partie du territoire des Landes la plus rapprochée de la mer ; et, si on ne l’avait pas énergiquement arrêtée par des plantations intelligentes et soigneusement entretenues, on pourrait prévoir l’époque, lointaine sans doute, mais fatale, où la plus grande partie du Médoc aurait été d’abord inondée par les étangs refoulés, ensevelie ensuite sous les sables. Vingt siècles auraient peut-être suffi pour enterrer Bordeaux.

Il est tout aussi impossible de déterminer avec une précision absolue les limites et le relief de la côte à plusieurs siècles en arrière de nous. Sans doute il est probable que ce littoral n’a pas été autrefois aussi nu, aussi stérile, aussi mouvant qu’à la veille des grands travaux auxquels Brémontier a attaché son nom. Le contraire paraît plus vraisemblable. C’est un fait constant, en effet, que la mer ronge la côte de Gascogne depuis plusieurs siècles ; et cette érosion continue a bien souvent mis au jour des empreintes irrécusables de l’industrie humaine à des époques très éloignées : briques, débris de poterie, instrumens en silex, fours primitifs, bois carbonisé, amas de cendres et de goudron, médailles et mosaïques. En maints endroits, on a retrouvé d’énormes troncs de chênes et surtout de pins ensevelis sous les sables, plusieurs portant l’empreinte de la hache qui les avait entaillés et dégageant même l’odeur caractéristique de leur essence. Plusieurs

  1. N. T. Brémontier, Mémoire sur les dunes et particulièrement sur celles qui se trouvent entre Bayonne et la pointe de Grave, à l’embouchure de la Gironde. À Paris, de l’Imprimerie de la République, thermidor an V.
    Brémontier, Observations sur les plantations faites dans les dunes de la Teste ou d’Arcachon. La Teste-de-Buch, 13 frimaire an VI.
    Rapport sur les différens Mémoires de M. Brémontier (Soc. d’Agric. du départ de la Seine, 5 et 19 février 1806).