Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/899

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
895
CÔTES ET PORTS FRANÇAIS DE L’OCÉAN

rieure, comme le ferait le fond d’un vase dépourvu de trou. Au-dessous de l’alios, une couche indéfinie de sable.

On conçoit facilement comment doit se comporter cet étrange terrain. Les eaux pluviales pénètrent facilement la couche supérieure, mais sont arrêtées par l’alios qu’elles ne peuvent pénétrer ; elles croupissent alors sur place. Pendant la saison des pluies, elles inondent le sol ; en été, au contraire, une évaporation active dessèche tout le pays et produit un dégagement considérable de miasmes insalubres qui ont fait pendant longtemps des Landes la terre classique de la pellagre et de toutes les variétés de fièvres. Peu ou point de sources, d’ailleurs, sur toute l’étendue du plateau. Or pendant près de six mois, les pluies sont très abondantes sur les côtes de l’Océan, et les eaux, ne trouvant ni écoulement intérieur par suite de l’imperméabilité de l’alios, ni écoulement superficiel par suite de la presque horizontalité du sol, deviennent stagnantes jusqu’à ce qu’elles aient été vaporisées par les rayons ardens du soleil de l’été. Le pays se trouve ainsi soumis à deux régimes extrêmes : une submersion permanente en hiver, une sécheresse brûlante en été.

Telle était au moins la situation il y a peu d’années. Elle s’est heureusement modifiée aujourd’hui, et la transformation agricole des Landes, en même temps que leur assainissement, s’opère lentement, mais d’une manière progressive, grâce à une série de drainages à ciel ouvert méthodiquement aménagés. Les flaques d’eau vaseuse, les lagunes mortes deviennent peu à peu de bonnes terres arables. Aux joncs, aux nénuphars, aux souchets et aux carex ont succédé le maïs, le seigle, les céréales, la prairie. La surface de la lande rase diminue, celle des pâturages augmente ; les plantations de pins résiniers ont donné presque partout de fructueux résultats, et l’on verra certainement disparaître dans un avenir assez prochain le type étrange, unique peut-être au monde et qui devient de plus en plus rare, du berger des Landes, — le Lanusquet ou Landescot, — hissé sur ses jambes d’emprunt, sorte d’échassier humain, dont l’ingénieux artifice d’ailleurs ne date certainement que de quelques siècles et très probablement de l’occupation de l’Aquitaine par les Anglais. Il est curieux, en effet, de remarquer que le nom patois de l’échasse « chanque » est du pur anglais, schank, jambe, os de la jambe ; et il est évident que l’étymologie de cet outil caractéristique du berger landais, de cet appendice, sorte de membre supplémentaire qui semble faire partie