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an à la suite des coups de mer. L’eau refluait sur les terres riveraines ; et les habitans du Vieux-Boucau, de Soustons, de Messanges, souvent appelés au son du tocsin et noyés à mi-corps, rétablissaient tant bien que mal le chenal à travers les sables. Mais ce n’était qu’un remède temporaire. Une nouvelle tempête amenait bientôt une nouvelle obstruction. La communication de Bayonne avec la mer était à chaque instant interrompue. C’était la ruine inévitable de la ville et de son commerce. Le roi de France dut intervenir ; il ordonna à Louis de Foix, qui rentrait d’Espagne, où il venait de construire le palais de l’Escurial, de s’arrêter à Bayonne. Le célèbre architecte n’hésita pas à abandonner complètement le lit encombré de l’Adour ; il le barra à 4 kilomètres en aval de la ville, un peu au-dessous du Boucau-Neuf, et ouvrit une nouvelle passe dans les sables. La distance entre Bayonne et la mer, qui était de plus de 30 kilomètres, devait être réduite à 6 ou 7 kilomètres seulement. Le travail n’était pas encore terminé, lorsque, le 28 octobre 1579, une crue subite de l’Adour submergea tout le pays. Bayonne noyée se crut un moment perdue ; mais cet accident fut au contraire le salut. Les eaux surélevées exercèrent une poussée formidable sur la dune que l’on avait commencé à entamer pour ouvrir un nouveau lit ; elles agirent comme une drague puissante, firent en quelques heures un déblai qui aurait coûté des mois à des milliers de terrassiers ; et c’est ainsi que s’ouvrit pour ainsi dire d’elle-même une nouvelle passe, plus profonde que la précédente, à peu près sur l’emplacement de celle qui existe aujourd’hui.

Mais la situation était toujours instable. Sous l’action continue du courant littoral, l’Adour fut peu à peu dévié vers le Sud, à travers la plaine basse qui s’étend de Bayonne à Biarritz ; un nouveau lit se forma bientôt dans cette direction ; et le fleuve vint déboucher un peu au-dessus du cap Saint-Martin, dans une passe sinueuse voisine du rocher pittoresque dans lequel se trouve la grotte légendaire très fréquentée par les touristes, désignée sous le nom de « Chambre d’amour, » et où naturellement on se plaît à évoquer la fin tragique de deux jeunes Basques surpris par les eaux du fleuve ou de la mer. Cette passe, incertaine et variable, remplaça pendant quelque temps celle que Louis de Foix avait d’abord ouverte ; mais, presque toujours encombrée de sables, elle présentait une entrée des plus dangereuses ; les naufrages s’y multipliaient ; on ne tarda pas à l’abandonner, et tous les efforts