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déclassés de la bourgeoisie qui le dirigent. La véritable force du parti politique, remarque M. Raffalovich, réside dans les membres des professions libérales, écrivains, professeurs, artistes, ingénieurs. Quelles habitudes, quels intérêts communs ont-ils avec la classe ouvrière ? Une fois maîtres du pouvoir, ils l’organiseront à leur profit. Ils ne peuvent aboutir qu’à un radicalisme avancé. L’intérêt que la classe ouvrière peut tirer de la politique, c’est d’aboutir à une législation favorable à ses progrès économiques et moraux. Cette législation, elle l’a obtenue en France des gouvernemens purement bourgeois ; nous avons déjà rappelé que Louis Blanc, en 1848, ne songeait pas à donner aux ouvriers le droit d’association, de coalition : ce fut l’œuvre des Emile Ollivier et des Waldeck-Rousseau. Les conservateurs et les libéraux anglais se livrent, en matière de réformes ouvrières, à un véritable steeple-chase. D’autre part, quel avantage les syndicats ont-ils à « s’embourber dans les tripotages électoraux, » dans la lutte entre politiciens professionnels pour la conquête des places de l’administration ? La politique ainsi comprise n’est qu’un élément de désunion et de discorde[1]. Trop de cerveaux simplistes, écrit M. Vandervelde, sont encore imbus de cette idée qu’avec un certain nombre de bonnes lois et de gendarmes, on peut réformer le monde[2]. La politique tend plutôt à corrompre les masses qu’à les élever moralement, car elle annihile en elles le sentiment de la responsabilité. On devra considérer sans enthousiasme « le jour où l’Etat et la Commune seront devenus les grands nourriciers du genre humain. »

Les politiciens socialistes en France, jadis si hostiles aux syndicaux purs, semblent maintenant convertis à l’action syndicale, et ils apportent à leurs convictions un zèle de néophytes. Mettant à profit l’excitation causée par les dernières grèves, ils se proclament les champions des syndicats. M. Jaurès interprète la sentence d’arbitrage de M. Waldeck-Rousseau, à propos de la grève du Creusot, dans le sens le plus large, et comme le prélude de l’introduction du système parlementaire dans toutes les usines. M. Millerand, dans son décret sur la réorganisation du Conseil supérieur du travail, introduit les syndicats ouvriers comme représentons normaux de la classe ouvrière, en opposition aux chambres de commerce, aux chambres consultatives des arts

  1. G. Sorel, l’Émancipation du 15 septembre 1899.
  2. Le Socialisme en Belgique, p. 54.