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de véritables rapports d’affaires avec leurs employeurs. Et il en est de même des syndicats d’entrepreneurs. Sans doute la paix n’est pas assurée par-là. Les grèves et les lock out de Londres et de Danemark ont été justement le résultat de ces vastes organisations : mais on ne s’engage pas à la légère dans des luttes pareilles. A la suite de cette nouvelle politique de compromis succédant à celle des représailles, on a constaté aux États-Unis que la proportion des grèves ordonnées par les unions est descendue de 82,4 pour 100 à 69 pour 100[1]. Des organisations d’ouvriers et de patrons pareillement puissantes peuvent devenir un gage d’entente, de paix relative.

Un publiciste, M. Hector Dépasse, écrivait à propos de la grève du Creusot : « On a souvent remarqué entre les patrons anglais et les patrons français une différence qui explique bien des choses. Les patrons, en Angleterre, les grands chefs et créateurs d’industrie n’ont pas craint d’organiser leurs ouvriers, ils les ont aidés à se donner des chefs à eux-mêmes, à se créer des bureaux, des conseils, des associations, parce qu’ils sentaient qu’alors ils auraient affaire à des hommes consciens et responsables ; ils savent à qui s’adresser dans les difficultés pour les résoudre, et ils savent aussi que les engagemens pris seront fidèlement tenus. Au contraire, les directeurs d’industrie, en France, aiment mieux se trouver en présence d’individus isolés, d’une poussière d’hommes qui s’agite confusément autour d’eux. Ils préfèrent traiter avec des ateliers anarchiques plutôt qu’avec des syndicats organisés. Mais alors ils n’ont aucune garantie, personne ne répond des conditions souscrites envers le patron. Et qui dira quels effets différens doivent être exercés, par l’organisation et la vigueur des uns, par l’anarchie et la faiblesse des autres, sur la force et la fécondité, et la qualité de la production elle-même ? Et de deux peuples qui comprennent si contrairement l’usine moderne, quel sera, croyez-vous, le vainqueur dans la concurrence universelle[2] ? »

M. de Molinari, dans une étude sur la Guerre civile du travail et du capital[3], préconise le même changement de régime industriel, la substitution du Contrat collectif au Contrat individuel. » A la longue, les industriels ont fini par reconnaître qu’en traitant

  1. Vigouroux, la Concentration des forces ouvrières dans l’Amérique du Nord, p. 260. — Liesse, le Travail, p. 410.
  2. L’Arbitrage et les Grèves. (Revue Bleue, octobre 1899).
  3. Journal des Économistes de septembre.