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silence tous les moteurs à gaz et mettrait sur le pavé une centaine de mille ouvriers.

La grève générale est la forme que prend l’idée révolutionnaire dans les têtes des militans. La répression de la Commune les a dégoûtés des insurrections à main armée. La conquête des pouvoirs publics par le bulletin de vote est trop longue et trop lente à leur gré, et trop incertaine. Faudra-t-il donc attendre que la présidence de la République, voire la Papauté, soient occupées par des camarades ? Et puis ils se défient des politiciens socialistes. La grève est un moyen de révolution populaire et spontané, spécial au prolétariat, de plus en plus malaisée à réprimer, à mesure qu’elle s’étend, soustraite à la direction des politiciens, et destinée à rouler sur leurs têtes[1]. Par la grève irrésistible se livrera peut-être la lutte suprême contre la société capitaliste.

Ce rêve de grève générale hantait les ouvriers anglais au temps du Chartisme. M. Sidney Webb la considère comme une maladie de croissance. Un instant, au moment critique de la grève des dockers, en 1889, le projet d’une grève générale a flotté dans l’air, pour être bien vite abandonné comme impraticable. Jusqu’à preuve du contraire, nous tiendrons cette grève pour une idée simpliste. L’indifférence croissante du monde ouvrier pour la démonstration du 1er mai en faveur de la journée de huit heures, destinée à servir de ralliement aux forces prolétariennes, unies le même jour, dans le monde entier, sous les plis du drapeau rouge, ne peut que nous confirmer dans cette opinion.

D’autre part, on attire notre attention sur cette facilité d’entente et d : accord d’un bout à l’autre du territoire national, et d’un bout de l’Europe à l’autre, créé par la presse, par les voies de communication si rapides[2]. C’est un état absolument nouveau dans l’histoire que ces conditions de concert réalisées pour les foules laborieuses. « Il faut s’attendre à des effets qui seront surprenans à proportion. »


III. NÉCESSITÉ D’UN « MODUS VIVENDI » ENTRE LE TRAVAIL ET LE CAPITAL

Des espérances sans bornes hantent l’esprit des foules. Elles vivaient autrefois dans une sorte de résignation hébétée à un ordre

  1. Mot du prince Kropotkine.
  2. M. Lacombe, l’Histoire considérée comme science, 1894.