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soumis au service militaire, doivent donner congé dans un délai qui varie de huit jours à un mois. Il en est de même pour les chemins de fer et tramways. Si les délais ne sont pas observés, les ouvriers perdent le salaire acquis, et sont exposés à des dommages-intérêts[1]. En France, le projet de loi Merlin-Trarieux déniait le droit de grève aux employés des chemins de fer et des arsenaux de l’État. On imagine les conséquences d’une grève des chemins de fer, même partielle, en cas de mobilisation. Le patriotisme d’une catégorie de serviteurs d’élite, tels que les mécaniciens, est sans doute une garantie ; mais tout ne dépend point d’eux. Les syndicaux même modérés, tels que les typographes, adversaires habituels de la grève générale, l’acclament dans les congrès pour le cas où ce projet de loi serait définitivement voté par la Chambre.

Les social-démocrates, qui répudient d’ordinaire la grève générale, l’ont organisée deux fois en Belgique pour obtenir du gouvernement l’extension du suffrage ; et si le ministère catholique eût poussé jusqu’au bout la résistance, à propos des modifications qu’il projetait au système électoral, le trône du roi Léopold était ébranlé, non par l’émeute, mais par la révolution des bras croisés. — Un des docteurs du socialisme allemand, M. Kautsky, blâmant l’entrée de M. Millerand dans un ministère bourgeois, conseillait la menace et la préparation de la grève générale comme suffisante pour protéger la République contre toute tentative de réaction.

Les anarchistes enfin, les syndicaux révolutionnaires propagent avec un zèle extrême, d’un bout de la France à l’autre, par les discours et par les brochures, l’idée d’une grève générale, pouvant aboutir non plus seulement à des conquêtes démocratiques, mais à un bouleversement social. La tentative, si misérablement avortée, de M. Guérard pour faire éclater la grève des chemins de fer n’était pas étrangère à cette vision. Par suite de l’interdépendance des métiers, il n’est pas besoin que tout le monde consente à cesser le travail ; il est interrompu par le fait de quelques-uns. Les rouleurs de charbon dans une mine, en désertant le chantier, pourraient suspendre la production. Une grève internationale des mineurs condamnerait à l’inaction toutes les usines, les chemins de fer, les bateaux à vapeur. L’arrêt du gaz à Paris réduirait au

  1. Le Droit de Grève du Personnel des Services publics, par M. V Pareto (Journal des Économistes, août 1899).