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million de chômeurs. La querelle eut pour origine le refus des menuisiers de se soumettre à un tarif, accepté d’un commun accord par l’organisation supérieure des ouvriers et par celle des patrons. A la suite de ce refus, les patrons formulèrent de nouvelles exigences, et le conflit s’étendit bientôt par la volonté des patrons, qui fermèrent les ateliers et les usines, à toutes les corporations du bâtiment, puis à l’industrie du fer[1]. Les ouvriers danois ont célébré la fin du lock out, comme le triomphe du parlementarisme industriel sur le régime absolutiste. En réalité, le conflit s’est terminé par un compromis. Un tribunal d’arbitrage permanent, composé d’autant d’ouvriers que de patrons, doit être établi, et le gouvernement lui donnera la reconnaissance légale. Patrons et ouvriers ont mesuré leurs forces. Chacun garde ses positions.

Ce n’est pas seulement dans l’industrie privée que nous voyons user de l’arme de la grève : témoin cette grève des facteurs, au printemps dernier, qui laisse entrevoir quel trouble l’interruption d’un service public pourrait apporter dans les relations sociales. Les facteurs de Paris sommaient le gouvernement et la Chambre de leur payer 2 millions par an, comme supplément à leur solde. Ils avaient contre eux l’opinion, les journaux, la majorité des députés, le gouvernement. Le Parlement leur a cependant accordé la moitié du crédit, et la grève a en partie réussi. M. Millerand vient d’en effacer les dernières traces ; il a réintégré les facteurs déplacés. On l’a remarqué à ce propos : même en régime collectiviste, on ne serait pas à l’abri des grèves.

Tous les États cherchent à mettre obstacle à la grève des employés des services publics, de ceux qui dépendent de lui, non pas seulement d’une manière directe, comme l’armée, la police, les magistrats, mais, d’une façon indirecte, dans les postes, les manufactures qui sont le monopole de l’Etat. En Allemagne, un projet de loi donnant le droit de punir les grévistes, s’ils compromettent l’intérêt de l’Empire et des Etats, a été repoussé par le Reichstag. En Italie, un simple décret a suffi pour établir ce droit. En Angleterre, les employés et les ouvriers de l’Etat, autres que ceux

  1. Cette lutte entre employeurs organisés et syndicats organisés, la plus considérable qui eût encore été entreprise, n’a pas un seul instant dégénéré en désordre et en violence. Des subsides ont été recueillis dans la classe bourgeoise pour secourir les femmes et les enfans. Les universitaires occupaient les ouvriers par des lectures, des conférences, des visites aux musées. Nul chômeur ne s’était fait inscrire au bureau de bienfaisance, et cela par dignité.