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s’attacher à l’action économique, tandis qu’au contraire les Anglais accusent des velléités de s’écarter du point de vue exclusivement économique, malgré l’antipathie des Trade-Unions pour le socialisme continental[1].

Les Bourses se sont fédérées. Si toutes les villes possédaient des Bourses, et si toutes adhéraient à la Fédération, l’unité de l’armée ouvrière serait constituée.

A côté de la fédération des Bourses, et, à l’origine, en rivalité avec elle, les syndicaux ont fondé au Congrès de Limoges, en 1895, une Confédération générale du travail, formée des fédérations nationales de métiers et des syndicats non fédérés. Cette institution répond à des plans grandioses : embrasser le monde du travail, créer une force distincte, indépendante, qui puisse donner aux revendications de la classe ouvrière une force irrésistible ; balayer tout obstacle, en tenant suspendue sur la société bourgeoise, comme une épée de Damoclès, la grève générale. Mais il y a loin, du rêve à la réalité. La Confédération n’existe que sur le papier. Les élémens manquent pour la composer, car rien n’est plus malaisé que de former, d’un bout de la France à l’autre, des fédérations de même métier. Il n’en existe qu’un très petit nombre. Depuis trois ans qu’elle est établie, la Confédération du travail, pour ainsi dire sans ressources pécuniaires, n’a fait d’autre besogne que de convoquer le Congrès corporatif annuel, toujours occupé à remanier la chinoiserie de ses statuts, exercice français par excellence : on cherche à remédier par des révisions de Constitution à l’insuffisance des hommes.

Depuis la décadence des Chevaliers du Travail, il s’est formé aux États-Unis une Confédération du Travail, une Fédération of Labour, pour lutter contre les associations patronales, les Trusts, et qui dispose de puissans moyens d’action[2]. Les Trade-Unions,

  1. La Bourse du Travail de Paris, au début, fit exception à cet esprit plus sage que les Bourses semblent appelées à introduire dans le monde ouvrier. A peine fondée, elle devint le champ de lutte des influences politiciennes et révolutionnaires, la citadelle des syndicats hostiles à la loi de 1884. Elle préparait les cadres de la guerre civile, lorsque, dénoncée à la Chambre par M. Yves Guyot le 8 mai 1893, elle fut fermée par M. Dupuy le 7 juillet. Il fut félicité par M. Guesde, dans le Matin, « d’avoir encombré de sa police et de ses troupes à cheval l’impasse syndicale ou corporative dans laquelle menaçaient de s’égarer un trop grand nombre de syndiqués. » Rouverte sous le ministère Bourgeois aux syndicats régulièrement constitués, elle fut le foyer intense de l’agitation, lors de la dernière grève des terrassiers.
  2. Vigouroux, la Concentration des forces ouvrières dans l’Amérique du Nord. Bibliothèque du Musée social, 1899.