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c’est un sacrifice de plus qu’il faut faire. Puisses-tu le supporter avec plus de courage que moi ! Bonsoir, cher fils, je t’embrasse de tout mon cœur. »

Le lendemain, Decazes ne fut pas plus heureux. L’état de sa femme semblait laisser peu d’espoir. Les plus illustres médecins, Auvity, Dubois et Portal, sans croire à sa mort immédiate, l’avaient condamnée. Il n’osait plus la quitter. En s’excusant de nouveau auprès du roi, que, pour la seconde fois, il était empêché de voir, il lui faisait part de l’impossibilité en laquelle il se trouvait de quitter Paris.

Le roi fut, au même degré que Richelieu, contrarié par cette décision, bien qu’elle s’inspirât de motifs trop respectables et de sentimens trop naturels pour être désapprouvés. Mais il n’était pas en son pouvoir de contraindre Decazes à s’éloigner. Il ferma donc les yeux et se contenta de l’engagement qu’en lui écrivant prenait envers lui l’ambassadeur, de se très peu montrer et de cesser jusqu’à nouvel ordre ses visites aux Tuileries. « Je n’ai pas non plus un cœur de tigre. Il n’est pas en mon pouvoir d’ordonner ce que j’ai conseillé, ce que j’ai demandé, ce que je regarde comme d’une nécessité absolue. Dans le parti que tu me parais avoir pris, et qui, je l’espère, ne te paraîtra pas longtemps indispensable, je ne vois aucun danger pour toi. Fasse le ciel, fils trop cher, qu’il ne te coûte pas de remords ! »

Ces déclamations sentimentales dépassaient la mesure, car Decazes ne songeait pas plus à se jeter dans la mêlée des partis qu’à faire le jeu des ennemis du ministère. Elles témoignaient surtout des craintes que, bien à tort, l’homme jadis si puissant inspirait encore à Richelieu, comme aussi des progrès de l’influence qu’avait prise sur le roi une femme introduite depuis peu aux Tuileries, Mme du Cayla[1]. Cette influence n’était pas encore ce qu’elle devint un peu plus tard. Mais, dès ses débuts, elle s’exerçait contre Decazes, et, dirigée par les chefs de la droite, avec l’assentiment de Monsieur, elle s’attachait à convaincre le roi que la présence à Paris de son ancien ministre mettait l’État en péril, en donnant un chef à l’opposition libérale. Ainsi s’expliquent les lettres que Decazes avait reçues à Londres et le caractère inébranlable des résolutions qu’elles lui signifiaient, résolutions

  1. Dans l’épisode final de ces études sur Louis XVIII et le duc Decazes, je raconterai comment Mme du Cayla, présentée au roi en 1817 par Decazes lui-même, revint aux Tuileries à la fin de 1820 et y conquit la faveur royale.