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Le docteur Bertin qui était près de moi fut obligé de me laisser. Le capitaine, un vieux commodore de corsaire, vint le remplacer, mais ne put rester non plus. Enfin, je fus livrée à un simple marin, qui devait seulement me relever si je tombais et m’empêcher de me tuer. Débarquée à Calais, je fus plus malade encore. La volonté qui m’avait donné la force de supporter le voyage semblait m’avoir abandonnée, une fois le but atteint. Ayant touché la terre de France, nous fûmes obligés de nous arrêter plusieurs jours et de ne revenir à Paris qu’à petites journées. »

Cette traversée laborieuse avait eu lieu le 3 mars. Le 7 seulement l’état de la malade permit à Decazes de reprendre la route de Paris. Quelques instans avant de monter en voiture, il écrivit au roi pour lui annoncer son retour.

« Ne trouverai-je pas à mon arrivée, comme l’an dernier, demandait-il, un mot de bonté et les ordres d’un père ? » Il faisait ensuite allusion à la lettre du 14 février et aux trois qui l’avaient suivie et si durement confirmée : « Le 14 est venu quatre fois briser mon cœur. Si mon père avait consulté le sien, il se serait convaincu qu’une fois aurait suffi pour que je le comprisse et pour que je fusse aussi malheureux que je pouvais l’être, non pas seulement en raison de ses suites ou de ses conséquences, mais en raison de ses causes. »

Quelles émotions et quels souvenirs ranimèrent, dans l’âme du vieux roi, ces reproches dont la forme respectueuse atténuait à peine la vivacité ? S’attendrit-il au moment de revoir l’homme qu’il avait tant aimé, qu’il aimait sans doute encore, mais dont une autre influence essayait déjà de le détacher ? En pensant qu’il allait le retrouver malheureux, dépossédé du prestige du pouvoir, dépouillé du radieux éclat dont le parait naguère la faveur royale et victime de la haine des ultras, se reprocha-t-il sa dureté ? Il est logique de le supposer, à s’en rapporter au premier paragraphe de la réponse qu’il fit déposer, le 10 mars, à l’hôtel de Soyecourt, où le duc et la duchesse Decazes étaient attendus.

« Oui, mon cher fils, oui, tu trouveras un mot de moi à ton débotté ; je crois que tu n’arriveras que lundi. Cependant, comme je ne suis pas absolument sûr que ce ne sera pas demain, et que, demain, je suis à peu près sûr de n’avoir pas un pauvre instant à moi, j’écris aujourd’hui samedi, que j’ai un peu de liberté. »

Voilà bien le ton des anciens jours, auquel le roi reviendra encore tout à l’heure, dans le dernier alinéa de sa lettre. Mais on