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Une autre fois, après s’être efforcé de démontrer, par certains symptômes qu’il trouve rassurans, que le péril n’est pas aussi redoutable qu’on le croit, il ajoute : « Je serais au désespoir de vous donner de ces espérances trop fortes qui font en général plus de mal que de bien. Mais je vous dirai avec saint Augustin : Ne præsumas, ne desperes. »

Ce langage si affectueux faisait diversion à la douleur de Decazes. Une consolation plus inattendue lui arriva d’ailleurs. Pasquier, mis au courant des angoisses de son ami et de leurs causes si légitimes, se conduisit en homme de cœur. Il changea soudain de ton. Avec l’élan d’une âme compatissante et généreuse, il s’associa aux inquiétudes dont il avait reçu la confidence. Decazes en fut profondément touché. La lettre qu’il avait reçue, celle qu’il écrivit, coupèrent court aux dissentimens qui, depuis un mois, défrayaient sa correspondance avec Pasquier. « Dans la douleur et l’anxiété auxquelles je suis en proie, mon cher ami, j’ai été heureux de retrouver, dans votre lettre du 5, l’expression et le sentiment de cette ancienne amitié que je me plaignais de voir disparaître de nos rapports diplomatiques. » Dans la même lettre, Decazes, ayant exposé la nécessité en laquelle il se trouvait de ramener sa femme en France, priait Pasquier de demander au roi un congé : « Il m’est bien pénible de le solliciter. Je ne m’en servirai qu’éventuellement et le tiendrai secret si je suis assez heureux pour être dispensé d’en user. »

Les raisons propres à justifier cette demande étaient trop impérieuses pour qu’il pût venir à la pensée du roi et de ses ministres de n’y pas faire droit. Ils n’en eurent pas un seul instant l’intention. Le congé fut accordé, mais à titre éventuel. Ils espéraient que Decazes n’aurait pas à s’en servir de sitôt, soit que la santé de sa femme s’améliorât, soit que la rigueur de l’hiver ne lui permît pas de se mettre en route. Le consentement royal à peine donné sous cette forme qui impliquait regrets et défiance, la nouvelle s’en répandit dans la société de Paris. Les ultras s’en émurent. Ils allèrent récriminer auprès de Richelieu qui, pour les apaiser, dut leur promettre que Decazes, s’il revenait à Paris, n’y passerait qu’une semaine, le temps de se préparer à conduire sa femme à Nice ou à Montpellier, et d’y faire avec elle un séjour prolongé.

Des lettres particulières annoncèrent ù l’ambassadeur ce réveil des passions hostiles depuis si longtemps déchaînées contre lui et la démarche des ultras. L’eût-il ignorée qu’il en eût retrouvé