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vie est tenace chez un être de dix-huit ans, — c’était l’âge de l’ambassadrice, — et que la jeunesse fait des miracles.

Dans les lettres écrites par Louis XVIII à son favori au début de cette crise qui mit, trois mois durant, la jeune femme entre la vie et la mort, on retrouve vivace et forte toute sa sollicitude pour « sa fille et son fils. » On y saisit sur le vif l’étendue de ses alarmes. On le voit se désespérer et se rassurer tour à tour, raisonner Decazes, le consoler, pleurer avec lui. « Mon seul appui est mon ignorance, lui mande-t-il. Je me dis que ce que mes faibles yeux ne peuvent apercevoir, d’autres plus éclairés l’apercevront peut-être. Ils découvriront dans cet état même qui me rend si malheureux des ressources que j’ignore, et, leur art secondant la nature, ils nous rendront ce cher objet de notre tendresse et de nos craintes. » « Je m’en vais vous étonner, reprend-il un autre jour. La lettre du docteur Berlin et le rapport qu’il a fait de l’avis du docteur Baillié sont, j’en conviens, fort tristes, et cependant, je trouve tout cela moins effrayant que je ne m’y attendais. Il y a, nous ne pouvons nous le dissimuler, un commencement de phtisie. Mais, cette redoutable maladie a trois degrés. Quand le premier est pris à temps et traité convenablement, il offre plus de chances rassurantes que d’autres. Or, il est démontré, du moins à mes faibles lumières, que notre chère petite n’est qu’à ce premier degré. Ainsi, sans nous livrer à la sécurité, car le danger existe, gardons-nous de nous laisser abattre. »

Il n’y a pas à se le dissimuler, c’est bien la tendresse paternelle qui prodigue ces paroles réconfortantes, elle aussi qui, dans la lettre suivante, cherche à remonter Decazes lorsque dans l’excès de son désespoir et la mort assiégeant sa maison, il se reproche la faiblesse qui lui a fait quitter Paris pour venir en Angleterre, faiblesse qu’il va payer de la vie de sa femme.

« Les reproches que vous vous faites me touchent parce qu’ils prennent leur source dans la sensibilité de votre cœur. Mais ils ne sont en vérité pas raisonnables. Pouviez-vous refuser l’ambassade ? Non. L’ayant acceptée, pouviez-vous n’y pas aller ? Non. Vous voilà donc absous sur ce point. D’ailleurs le mal ne vient pas des climats, mais de cette promenade où la petite a eu les pieds mouillés. Ce malheur dont les suites sont si affligeantes pouvait arriver à la Grave, tout comme à Harrow. N’aggravez donc pas vos peines trop bien fondées par des reproches que vous ne méritez pas. »