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Decazes ayant reproduit le propos dans une de ses lettres, le roi, piqué au vif, répondait :

« Je ne suis pas en peine, mon cher duc, qu’au collège de Vendôme, on vous ait fait lire saint Paul et particulièrement l’Epître aux Romains. Mais, j’aime à croire que le Pentateuque a été aussi une de vos lectures. Vous y aurez vu que, les Israélites ayant manqué d’eau dans le désert, Dieu commanda à Moïse d’ordonner à un rocher d’en fournir, mais qu’au lieu de cela, ce fut en frappant deux fois ce rocher avec sa baguette qu’il en fit jaillir une source, et qu’en punition du manque de foi qui avait été la cause de son inexacte obéissance, il fut privé de l’avantage d’introduire le peuple de Dieu dans la Terre promise. Vous voyez d’ici que ce fait historique est devenu une parabole. Se dire : Voyons s’il se rappellera, c’est douter qu’il se rappelle, c’est donc manquer de foi, et c’est la petite qui s’est rendue coupable de ce péché ! »

Pour lui, il n’oubliait rien et se rappelait tout. Pour le bien comme pour le mal, sa mémoire était implacable, et de même qu’il se souvenait de ses obligations de « père, » il se rappelait ses devoirs de roi, témoin ces quelques lignes en réponse à des plaintes qu’avaient arrachées à Decazes les procédés de Pasquier envers lui. C’était au sujet de ce troisième secrétaire que le ministre des Affaires étrangères envoyait à Londres contre le gré de l’ambassadeur et qu’il lui imposait : « Pasquier ne m’a rien dit de ce secrétaire. Ce que vous m’en dites s’adresse à t. p. (ton père) qui n’y peut rien, le R. (le roi) ayant signé la nomination. »

À ce moment, entre le ministre et l’ambassadeur, tout semblait être devenu prétexte à des dissentimens et à des querelles. Si leur correspondance conservait encore un ton cordial et même affectueux, il s’y glissait souvent des phrases aigres, sous lesquelles apparaissaient les griefs réciproques. Decazes, à qui Pasquier devait d’être rentré au ministère en 1817, ne lui pardonnait pas de ne l’avoir jamais défendu contre les attaques des ultras. La nomination d’un secrétaire attaché à son ambassade, contrairement à sa volonté, avait aggravé co qu’il considérait comme un premier tort. Puis, ce fut autre chose. Pasquier s’obstinait à croire que Decazes avait hâte de revenir aux affaires et qu’il n’agissait qu’en vue de son retour. Il blâmait en outre la prolixité des lettres que l’ambassadeur adressait au roi. Grâce aux détails qu’elles contenaient, le ministre trouvait toujours le prince aussi instruit que lui et n’avait jamais rien à apprendre. Il reprochait par-dessus