Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/797

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gamins, encouragés par leurs parens, me criaient à travers les rues, quand je n’y passais point en voiture.

Le long des couloirs, j’avais entrevu, dans leurs bureaux, des groupes de députés japonais, assis sur les tables et allumant leurs cigarettes aux charbons ardens des petits braseros. Plus d’apparat, plus d’habit noir ; mais le costume japonais, où rien ne gêne aux entournures. Ils discutaient et propageaient autour d’eux une rumeur d’orage.

À une heure précise, la séance s’ouvrit par une courte allocution du président, qui rendit compte de sa visite à l’Empereur : il lui avait présenté l’adresse de ses collègues, et Sa Majesté avait daigné lui répondre : « Nous approuvons les sentimens que nous expriment les membres de la Chambre des Députés. » La salle bondée, où les vêtemens européens se noyaient dans le flot des haoris, redoubla de silence et d’attention, quand, au moment de procéder à l’ordre du jour, un député se leva et demanda à déposer une motion urgente. Des cris variés se croisèrent dans l’hémicycle, et l’on entendit à peine les paroles du président :

— Quelle est la nature de cette motion ?

— Je propose, répliqua le député, que la Chambre refuse sa confiance au présent ministère.

Les visages, sous leur vernis d’impassibilité, se tendirent. Parmi ces têtes de Sanchos cabossées et de Don Quichotte tartares aux barbiches de bouc, où donc avais-je contemplé cette figure de bonze, vieille Providence de mélodrame, et ses yeux caves, et sa bouche funèbre, dont la voix creuse l’est peut-être encore moins que son discours ? N’avais-je point déjà rencontré cet homme aux joues tombantes et carrées, dont le mordant rictus devance son regard, qui ne se soulève qu’avec peine sous de lourdes paupières ? Et cet autre, satisfait de soi-même, jeune ténor de l’opérette politique, où m’était-il apparu ? Au cours de quelle pérégrination ? Dans quel pays ?

Le premier coup de canon était tiré ; les partis allaient sonner la charge, lorsque le président, qui venait de recevoir un pli cacheté, l’éleva au-dessus de sa tête. Tous les députés surgirent dans le fracas sec de leurs sièges qui derrière eux claquaient sur les dossiers, et, debout, ils écoutèrent la lecture d’un décret de dissolution. Le rire s’empara des tribunes. Je n’avais pas encore vu les Japonais si gais, si heureux de vivre. Leurs représentans l’étaient moins. Ils s’écoulèrent en un clin d’œil, sans murmure,