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ressortant sous l’âpre moustache noire, les traits moins empreints d’intelligence que de brutale ténacité, le Souverain, en uniforme de général, s’avança d’un pas assez rapide, mais avec l’allure un peu torse des cavaliers. Le comte Matsukata s’approcha de lui et, après trois révérences espacées, lui remit humblement le rouleau où la proclamation impériale était écrite. L’Empereur se découvrit, posa sur le guéridon son képi à la blanche aigrette, déroula le manuscrit et on commença la lecture. Dans le mouvement qu’il fit, un pli de la tenture me le déroba ; je ne perçus plus que sa voix, son étrange voix gutturale et cassée de vieux prêtre psalmodiant des litanies barbares. Quand ce fut fini, il rendit au comte le papier sacro-saint et se retira silencieusement, avec sa suite, comme il était entré.

Députés et Sénateurs se dispersèrent pour se réunir bientôt et rédiger une adresse au Trône. J’allai rejoindre les diplomates, qui, au milieu d’une grande salle nue, remettaient leur pardessus et fumaient une cigarette. On s’entretenait des paroles de l’Empereur, moins banales, disait-on, que les années précédentes. On signalait le passage de son discours où, sortant de son habituelle neutralité, il avait déclaré qu’on introduisant de nouveaux impôts ses ministres n’avaient fait qu’obéir à son initiative. Il couvrait ainsi leur impopularité de sa pourpre irrésistible. Cependant les journaux annoncèrent que, dès le lendemain, le ministère recevrait l’assaut, et de toutes parts des conciliabules de politiciens se préparèrent au combat.

Le matin, je pénétrai un instant à la Chambre des Pairs. C’était le séjour du bon ton, des manières douces et courtoises, des fines allusions saluées d’un sourire, des approbations discrètes : un salon et une académie. L’orateur parlait sans geste et sans éclat ; il causait, et de temps en temps les têtes, dont quelques-unes commençaient à se dégarnir, opinaient aux délicatesses de son langage. Les tribunes étaient désertes.

Mais, dès midi, la foule munie de cartes assiégeait les abords de la Diète et s’échelonnait aux escaliers de bois qui, sur un des côtés du monument, donnent accès à la Chambre. Les fonctionnaires auxquels je m’adressai pour entrer y mirent une complaisance dont je fus d’autant plus touché qu’ils ne me connaissaient pas ; et, sitôt qu’on m’eut ouvert la porte d’une loge, les privilégiés qui la remplissaient déjà se tassèrent et m’indiquèrent une place au premier rang. Cette politesse me consola des insultes que les