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molécules dans lesquelles les deux ions existent accolés et chargés de quantités égales d’électricités contraires — que le premier effet du courant est de les orienter en files régulières comme des grains de chapelet ; et, enfin, qu’au contact il faut le contact de l’électrode, il y a libération de l’ion le plus proche. Le même phénomène s’accomplit simultanément aux deux électrodes. La file se reconstitue aussitôt ; les rangs se resserrent. On peut dire que chaque ion positif a avancé d’un cran vers l’électrode négative et chaque ion négatif d’un cran vers l’électrode contraire.

L’explication de Grotthus laisse subsister une difficulté. L’action dislocatrice ne peut commencer au contact de l’électrode, que lorsque la charge de celle-ci est devenue suffisante pour vaincre l’attraction électrique des deux ions. Mais, dès que ce point est acquis, la décomposition devrait se faire brusquement et avec une grande violence. L’expérience montre au contraire une décomposition apparaissant déjà avec un courant très faible, et grandissant progressivement avec le courant.

Clausius avait été frappé de ce désaccord de la théorie avec le fait. Il abandonnait, dès 1857, l’idée qu’avant le passage du courant tous les ions fussent combinés entre eux, de manière à former des molécules. Il y a, disait-il, dans tout électrolyte un petit nombre d’ions qui sont séparés par avance, libres. Les solutions contiennent, non seulement des molécules complètes, mais un certain nombre de molécules dissociées. Le courant le plus faible peut les attirer aux électrodes. Quand il grandit, il accroît le nombre de ces élémens dissociés, en proportion de la force électro-motrice.

Ce n’est pas encore assez. Svante Arrhénius, en 1887, est allé plus loin. La dissociation préexiste au passage du courant. Elle est le fait de la dissolution même. L’énergie qui la réalise est fournie par la quantité de chaleur absorbée au moment de la dissolution. Il n’y a pas seulement un petit nombre de molécules dissociées dans les solutions de sels, d’acides ou de bases. Il y en a un grand nombre : et dans les solutions très étendues, ce sont toutes les molécules qui sont dissociées. Une solution étendue ne contiendrait donc pas le corps que nous croyons y exister, que nous y avons mis, mais ce corps décomposé en ses élémens électrolytiques, en ses ions. Les propriétés que va nous révéler une telle solution ne seront autre chose que les propriétés des ions libres. Par exemple, dans l’acide chlorhydrique très dilué, les atomes de chlore, chargés d’électricité négative, nagent librement à côté des atomes d’hydrogène, positifs et libres. Telle est l’hypothèse.