Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/665

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elisabeth Browning en Angleterre, Robert Browning, Tennyson, le Tennyson des Idylles du Roi, et en France, Alfred de Vigny, Leconte de Lisle, et à sa suite tous ceux qu’on a nommés du nom de Parnassiens, Victor Hugo, le Victor Hugo de la Légende des Siècles, sont les ouvriers de cette transformation. Faisons une place parmi eux à Théophile Gautier, et, si l’on veut, au poète des Fleurs du Mal, Charles Baudelaire, pour l’influence qu’il a exercée sur la formation du Symbolisme. Rapprochons-en les préraphaélites, au nombre desquels il y a d’abord eu plus de peintres que de poètes ; et nommons enfin Richard Wagner, dont l’action, nous l’avons dit, et c’est le moment de le répéter, n’a pas eu moins de conséquences en poésie qu’en musique. Ce sont là des noms bien divers ; et certes leurs œuvres éveillent dans nos mémoires à tous des souvenirs bien différens. Quel rapport y a-t-il des Fleurs du Mal aux Idylles du Roi ? de tant de dépravation à tant de noblesse ? ou d’Aurora Leigh à Émaux et Camées ? Et cependant regardez-y de plus près ; comparez plus attentivement un drame de Wagner, un poème de Leconte de Lisle, antique ou barbare, un tableau de Burne-Jones ou d’Alma Tadéma : n’ont-ils pas ceci, premièrement, de commun qu’ils cherchent tous le motif ou le mobile de leur inspiration en dehors d’eux, dans les choses, et généralement dans les choses du passé, dans l’histoire, et de préférence encore, dans la légende ? La matière des Idylles du Roi, n’est-ce pas celle de Tristan et Yseult ? Ne retrouverait-on pas l’Or du Rhin dans la Légende des Siècles ? La préoccupation du « vrai » leur est commune à tous, et tous ils sont convaincus que ce « vrai » n’a pas leurs « impressions » pour mesure.


Les formes, les couleurs et les sons se répondent !


Ils ne sont tous que l’écho de ces sons, le miroir de ces couleurs, les observateurs de ces formes, et ils s’ingénient tous à en démêler les « correspondances. » N’ont-ils pas tous aussi le respect, on pourrait dire la superstition du style ; et le mystère des mots n’exerce-t-il pas sur eux tous la même irrésistible attraction ? On en a vu qui les ont traités, ces mots, comme des pierres précieuses, des améthystes ou des émeraudes, et qui ne se sont proposé d’autre objet que de les assortir ou de les sertir dans le resplendissement d’une parure. Et d’autres ont poussé plus avant, ont vu ou entrevu, sous le mystère des mots, celui des choses,