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Romains assemblés, ou celui qui du haut de la chaire chrétienne remuait, en y tombant, dans l’âme des foules, ce qu’elle contient de plus obscur et de plus mystérieux, — mais le lyrisme, c’est la poésie « personnelle ; » c’est la manifestation de la sensibilité du poète ; c’est l’expression par la parole, par le rythme, et par l’accent, de ce qu’il y a de plus intime et de plus profond en lui. Il y avait, nous l’avons déjà dit, quelque deux cent cinquante ans au moins, que cette sensibilité frémissait d’être contenue quand, au commencement de ce siècle, le romantisme vint la libérer de cette longue contrainte. On la vit alors s’épancher ou plutôt se déborder dans tous les sens, de toutes parts, dans toute l’Europe, en France comme en Angleterre, en Italie comme en Allemagne ; et là même où s’ajoutait à la joie d’être enfin délivrée la colère d’avoir été si longtemps comprimée, c’est là, par une conséquence assez naturelle encore, qu’on allait la voir engendrer quelques-uns de ses plus rares chefs-d’œuvre : le Don Juan de Byron, par exemple, ou l’Alastor de Shelley.

L’art de la description classique, ou, pour mieux dire, la manière même de sentir la nature et l’histoire, en ont été renouvelés tout d’abord, et les Lakisles anglais, parmi lesquels on nous permettra de ranger aussi leurs précurseurs, Grabbe, Cowper et Burns, en sont les premiers interprètes. Et, aussi bien, si, comme nous le disions, le lyrisme est l’individualisme, n’était-ce pas en Angleterre qu’on devait le voir d’abord renaître ? Le poète de l’Excursion, Wordsworth, et celui de Don Juan, Byron, ne se ressemblent qu’en ce point, mais ils se ressemblent. Peu leur importe le sujet de leurs « poèmes, » et ce sont uniquement leurs impressions qu’ils nous content. La fable et l’intrigue, l’histoire et la nature ne leur servent que d’un prétexte à s’exprimer eux-mêmes, et ils s’expriment très diversement, mais ils n’expriment toujours qu’eux-mêmes. Est-ce bien aussi le cas de Coleridge et de Shelley, de Southey et de Keats ? Je m’en remets aux Anglais de nous le dire. En tous cas, c’est chez nous celui de Lamartine et d’Hugo, dans leurs Méditations ou dans leurs Odes et Ballades, dans leurs Harmonies, dans leurs Feuilles d’Automne. Et il semble bien que ce serait en Allemagne le cas de Korner et de Rückert, ou en Italie celui d’Ugo Foscolo, de Manzoni, de Leopardi, si les circonstances n’en avaient fait avant tout des « patriotes. » On pourrait dire, sans jouer sur les mots, que le caractère qu’ils ont tous en commun, c’est de ne vouloir avoir, et de n’avoir